ANALYSE D'ARTICLE

Pollution liée au trafic et leucémie infantile : revue actualisée de la littérature et nouvelles méta-analyses

L’hypothèse d’un rôle de l’exposition aux polluants du trafic dans la survenue de cas de leucémie infantile est renforcée par cette revue de la littérature récente. Les différentes méta-analyses pratiquées pointent en particulier les émissions de benzène.

Cinq revues systématiques des études sur le lien entre la pollution atmosphérique – principalement générée par le trafic routier – et la leucémie aiguë de l’enfant ont été publiées entre 2014 et 2016. Quatre ont conclu à une possible association, mais ces travaux ont inclus des études anciennes souffrant de faiblesses méthodologiques, se réfèrent essentiellement à la métrique d’exposition « densité du trafic », et aucun ne décrit l’allure de la relation.

Intégrant neuf études récentes (publiées entre 2015 et 2018), cette nouvelle revue de la littérature se veut plus informative. L’association entre la pollution et la leucémie a été examinée de différentes manières : sur la base de l’importance du trafic de proximité ou des niveaux de concentration de polluants particuliers (dioxyde d’azote [NO2], particules [PM2,5, PM10], benzène et 1,3-butadiène [classés dans le groupe 1 des agents cancérogènes par le Centre international de recherche sur le cancer – CIRC]), et sur la base d’analyses « plus forte versus plus faible exposition », ainsi que d’analyses « dose-réponse » à chaque fois que possible.

Publications incluses

Trois études de cohortes et 26 études cas-témoins (rassemblant plus de 13 000 cas de leucémie) ont été sélectionnées à partir d’une recherche dans trois bases de données (PubMed, Web of Science et Embase) sans restriction de langage, arrêtée au 20 mars 2019 (515 publications identifiées dont 66 potentiellement éligibles). La qualité de ces articles a été évaluée indépendamment par deux des auteurs sur l’échelle de Newcastle-Ottawa, et jugée excellente (score maximal) pour 16 d’entre eux.

Sept études n’avaient inclus que des enfants de moins de 6 ans et deux seulement reposaient sur un recrutement hospitalier. L’exposition résidentielle avait été estimée en référence à l’adresse au moment du diagnostic dans 17 études, dix avaient utilisé l’adresse à la naissance ou durant la grossesse, et deux s’étaient intéressées à l’exposition pré- et postnatale. L’importance de la circulation routière autour du domicile avait été évaluée (en termes de densité du réseau routier, distance à une route majeure ou nombre de véhicules/jour sur les sections avoisinantes) dans 20 études, dont sept avaient aussi pris en compte les concentrations atmosphériques de polluants (mesurées ou modélisées). Neuf études étaient fondées sur les niveaux de polluants uniquement. Le NO2 avait été le plus souvent considéré (dans dix études), devant le benzène (n = 8), les particules (n = 4) et le 1,3-butadiène (n = 2).

Méta-analyses : points saillants

Une faible association entre la densité du trafic autour de la résidence et le risque de leucémie émerge de la méta-analyse de 16 études aux résultats modérément hétérogènes (I2 = 56,2 %) : le risque relatif (RR) combiné (comparant la catégorie la plus exposée à la moins exposée) est égal à 1,09 (IC95 : 1-1,20). Les analyses dose-réponse suggèrent que l’excès de risque n’affecte que la frange de la population la plus exposée au trafic. La courbe la plus parlante est obtenue avec le critère de proximité d’une voie à forte circulation (sur la base de six études) : elle n’indique aucun effet jusqu’à une distance de 150 m, en dessous de laquelle l’excès de risque croît rapidement.

À l’opposé, l’effet de l’exposition au benzène apparaît net (RR combiné [plus forte versus plus faible exposition] = 1,27 [1,03-1,56] ; I2 = 52,4 %) et l’allure de la relation est linéaire dans la plage des concentrations rapportées (de 1 à 15 μg/m3, sur la base de six études). Des analyses stratifiées dévoilent un excès de risque de leucémie aiguë myéloblastique (LAM) essentiellement : RR = 1,84 (1,31-2,59) à partir de cinq études (I2 = 0 %), versus 1,09 (0,88-1,36) pour la leucémie aiguë lymphoblastique (LAL, sept études, I2 = 51,8 %). La différence est encore plus marquée dans la population des enfants de moins de 6 ans : RR égal à 3,21 (1,39-7,42) pour la LAM versus 1,19 (1-1,40) pour la LAL. Deux autres facteurs modificateurs sont mis en évidence : la fenêtre d’exposition considérée (association plus forte en référence à une exposition établie au moment du diagnostic par rapport à celui de la naissance) et la région de l’étude (association plus forte dans les investigations réalisées en Europe par rapport aux études nord-américaines). Un effet de l’exposition au 1,3-butadiène est également observé (RR = 1,45 [1,08-1,95]), mais l’estimation ne repose que sur deux études dans lesquelles les concentrations de 1,3-butadiène et de benzène étaient fortement corrélées.

Huit études étaient éligibles pour une méta-analyse « plus forte versus plus faible exposition au NO2 ». Le RR combiné est égal à 1,04 (0,90-1,19) et l’analyse dose-réponse suggère un seuil d’exposition autour de 40 μg/m3 à partir duquel le risque de leucémie augmente graduellement jusqu’à 60 μg/m3, mais les estimations sont instables. L’exposition aux PM2,5/PM10 n’apparaît pas être un facteur de risque de leucémie.

L’exclusion une à une des études utilisées pour les différentes analyses ne modifie pas notablement leurs résultats. La représentation en funnel plot légèrement asymétrique pour les rapports des effets de la densité du trafic et de l’exposition au benzène ne permet pas d’écarter totalement un biais de publication.


Publication analysée :

* Filippini T1, Hatch EE, Rothman KJ, et al. Association between outdoor air pollution and childhood leukemia: a systematic review and dose-response meta-analysis. Environ Health Perspect 2019 ; 127(4) : 46002. doi : 10.1289/EHP4381

1 Environmental, Genetic and Nutritional Epidemiology Research Center (CREAGEN), Department of Biomedical, Metabolic and Neural Sciences, University of Modena and Reggio Emilia, Modène, Italie.