ANALYSE D'ARTICLE

Protéger la santé à l’ère de l’anthropocène

Volumineux rapport d’une commission internationale d’experts, “Safeguarding human health in the Anthropocene epoch” promeut, sous le nom de santée planétaire, un modèle écologique de santé publique qui prend en compte l’importance de la préservation des services écosystémiques, autant pour les bénéfices de santé que pour un développement durable et équitable sur toute la surface de la planète.

“Safeguarding human health in the Anthropocene epoch” is a long report by an international commission of experts working for planetary health. It proposes an ecological public health model that considers the importance of preserving ecosystem services, both for their health benefits and for fair and sustainable development of the entire planet.

Une commission de spécialistes constituée principalement d’universitaires anglo-saxons du Royaume-Uni et des États-Unis, avec une ouverture internationale sur le Canada, le Chili, le Kenya, la Chine, la Malaisie et le Pakistan, a produit en ligne en juillet 2015 un rapport publié dans The Lancet en novembre 2015. Ce travail, intitulé « Protection de la santé humaine à l’époque anthropocène », financé en partie par la Fondation Rockefeller, est complémentaire de celui d’une autre commission du Lancet réunissant en partie les mêmes auteurs, qui est intitulé « Santé et changement climatique : réponses politiques pour protéger la santé publique », a été publié en ligne en juin 2015 et a fait l’objet d’une brève dans cette revue [1].

Le travail présenté ici porte sur l’évaluation des menaces pour la santé et pour les perspectives de développement humain qui résultent des multiples changements environnementaux survenant dans l’époque anthropocène. Il identifie les principales lacunes de données probantes pour comprendre les liens entre santé et changements environnementaux et pour mesurer les effets des interventions et des politiques publiques destinées à réduire les changements environnementaux et à promouvoir la santé. Il souligne enfin les besoins de recherche et les efforts de mise en application qui restent à déployer pour aider l’humanité à répondre à ces menaces avec succès.

 

Un nécessaire élargissement conceptuel

Le modèle écologique de santé publique proposé par la commission sous le nom de santé planétaire utilise la définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et non seulement l’absence de maladie ou d’infirmité » et la prolonge. En effet la santé planétaire a pour but la réalisation équitable du plus haut standard atteignable de santé au sens global, dans toutes les catégories sociales et dans le monde entier. Pour l’atteindre, il conviendra de ne pas se limiter aux aspects matériels, biologiques, économiques, sociaux, culturels et politiques, mais de se soucier aussi de la durabilité des écosystèmes naturels et d’accepter la complexité et la non-linéarité de leurs dynamiques qui définissent les limites environnementales de sûreté à l’intérieur desquelles l’humanité peut s’épanouir. Car actuellement, quand on mesure des gains de santé, on ne se préoccupe pas de savoir s’ils sont obtenus au prix de l’érosion des systèmes naturels de la Terre qui fournissent les services essentiels : la nourriture, le combustible, l’eau, l’abri. Or si une population atteint un niveau de santé donné en exploitant l’environnement de façon non durable, alors il est probable qu’elle le fait aux frais d’autres populations, maintenant ou dans le futur, ou les deux.

 

Tracer la voie pour répondre aux défis

Le progrès vers la santé planétaire implique d’élargir clairement la responsabilité de la santé publique au-delà de son confinement traditionnel dans le secteur des soins. La production des connaissances en santé publique doit améliorer la compréhension des connections entre écosystèmes naturels et santé et pour cela devenir plus largement transdisciplinaire en intégrant les sciences de l’écologie et de l’évolution. Ce projet requiert en particulier la (re)connaissance des bénéfices de santé qui seront issus de la conservation et la réhabilitation des systèmes naturels, notamment de l’atténuation des gaz à effet de serre et autres émissions dommageables massives qui résultent des activités humaines dans les économies développées. Les interventions et politiques publiques destinées à protéger et promouvoir la santé des individus, des communautés, des populations et à l’occasion des nations, devront s’appuyer sur ces connaissances nouvelles et devenir l’affaire de tous les secteurs d’activité économique. Les sociétés humaines de l’époque anthropocène font face à des menaces environnementales pour la santé qui sont pour partie avérées et pour beaucoup incertaines voire inattendues. Néanmoins, ces menaces requièrent des réponses transformatrices urgentes pour protéger les générations présentes et futures. La commission considère que les systèmes sociaux actuels d’organisation du savoir humain et de gouvernance politique sont inadaptés pour traiter ces menaces et doivent évoluer. Elle appelle d’une part à la promotion de l’interdisciplinarité dans la production, la synthèse et l’application du savoir utile pour renforcer la santé planétaire, et, d’autre part, à une gouvernance améliorée qui facilite l’intégration des politiques sociales, économiques et environnementales. Selon elle, les solutions sont à notre portée.

Conceptuellement cette évolution sera fondée sur une redéfinition de la prospérité qui mette autant l’accent sur l’accroissement de la qualité de vie pour tous et une distribution plus équitable de la santé (Global Health), que sur le respect de l’intégrité des systèmes naturels. Partout sur la planète, les sociétés devront faire l’effort de promouvoir des schémas de consommation durables et équitables, de réduire la croissance de la population, et de maîtriser la puissance de changement économique et social du développement technologique.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Commentaires

Cet article « imposant » de 55 pages traite des effets de l’homme sur l’environnement et, en feedback, des effets des modifications de l’environnement sur la santé humaine. La partition a été écrite à plusieurs mains et conduit à des conclusions nettes sur une présence de l’espèce humaine qui sort de l’anecdotique avec un impact évident sur la planète : épuisement des réserves, accès à l’eau, pollutions diverses et… réchauffement climatique. Nous sommes entrés dans une nouvelle époque – celle de l’anthropocène. Les résultats sont éloquents : pour la plupart des indicateurs présentés, les courbes grimpent en flèche à partir des années 1950, ce qui établit une corrélation directe entre la pression des activités humaines – la production et la consommation de biens – et l’état de santé de la planète dans son ensemble alors que les sources de perturbations environnementales tirent leur origine d’un nombre modeste d’États.

Si ce constat bien étayé est validé par d’autres enquêtes de même qualité, la question posée est de savoir si on peut aller au-delà du constat alarmiste pour demain, surtout dans une société qui se considère aujourd’hui en guerre prioritaire contre des formes de terrorisme inacceptables. Comment alors aborder sereinement le long terme si la technologie, en particulier sécuritaire, doit l’emporter sur l’avenir environnemental de la planète…

L’incapacité à traiter de manière démocratique et pacifiée les interfaces entre populations, cultures, modes de vie et niveaux de vie, peut se traduire par un développement de l’exclusion de ceux n’ayant pas de liens avec le pouvoir dominant. En dehors de pertes de liberté pour tous les citoyens (et plutôt acceptées dans les États démocratiques), surviendront probablement des demandes de développement de moyens sophistiqués de contrôle, de surveillance, de protection, de défense des citoyens reliés au pouvoir dominant d’un point de vue économique et politique. La ville devenant l’espace dans lequel la plupart des citoyens se destinent à vivre, le problème de l’autonomie alimentaire, énergétique, de l’approvisionnement en biens matériels, sera à traiter de manière prioritaire en tant que tel, avec les difficultés liées à certaines formes de ségrégation. L’objectif passerait alors de la recherche du bien-être à la survie d’une façon de vivre « à la française » ou à l’occidentale, sans réflexion approfondie sur le futur, avec peut-être des soutiens à des opérations éthiquement discutables (homme augmenté par exemple, biologie synthétique, bio-puces RFID, etc.) rendues incontournables par des prémices de conflits civils…

Entre court et moyen terme qui va imposer ses choix ?

Jean-Claude André

 

Publication analysée :

Whitmee S, Haines A, Beyrer C, et al.Safeguarding human health in the Anthropocene epoch: report of the Rockefeller Foundation-Lancet Commission on planetary health. Lancet 2015; 386: 1973-2028.

Centre for Biodiversity and Environment Research, University College, Londres, Royaume-Uni.

doi: 10.1016/S0140-6736(15)60901-1

 

[1] Environ Risque Sante. 2015;14:466-468. 6