ANALYSE D'ARTICLE

Quels facteurs environnementaux peuvent contribuer à l’augmentation des allergies alimentaires ?

S’inscrivant dans une tendance évolutive commune à toutes les manifestations allergiques, l’augmentation de la prévalence des allergies alimentaires pose aussi la question de la responsabilité de facteurs environnementaux. Cette revue des données expérimentales et épidémiologiques disponibles pour un certain nombre de facteurs à l’étude fait le point des connaissances.

L’augmentation de la prévalence des allergies alimentaires (et des cas d’anaphylaxie d’origine alimentaire) en quelques décennies laisse supposer le rôle d’autres facteurs que l’alimentation elle-même. S’ils ne peuvent pas l’induire directement, des déterminants externes pourraient contribuer au développement d’une allergie, en intervenant à une étape quelconque du processus allant de la non acquisition d’une tolérance orale aux allergènes alimentaires jusqu’aux manifestations cliniques.

Les connaissances sont encore parcellaires, mais de récentes études expérimentales et épidémiologiques soutiennent cette hypothèse, les données étant plus ou moins convaincantes selon le facteur de risque supposé d’allergie alimentaire.

Altérations de la barrière cutanée et du microbiote intestinal

Plusieurs études dans des modèles murins montrent que l’exposition cutanée à des allergènes alimentaires comme l’ovalbumine (principale protéine du blanc d’œuf) ou des protéines d’arachide, est capable d’induire une sensibilisation pouvant entraîner une réaction allergique clinique à l’introduction de l’aliment par voie orale. Cette sensibilisation épicutanée survient d’autant plus facilement que la peau est lésée.

Ces données s’accordent avec l’observation du lien entre la dermatite atopique (DA) du nourrisson et le risque subséquent d’allergie alimentaire (la DA étant souvent considérée comme ouvrant la « marche allergique », suivie d’allergie alimentaire, d’asthme et de rhinite). Dans la cohorte australienne Healthnuts (4 453 nourrissons de 11 à 15 mois, allergie objectivée par des tests de provocation orale), 50,8 % des nourrissons ayant eu une DA d’apparition précoce (avant l’âge de 3 mois) et sévère (nécessitant des dermocorticoïdes) étaient allergiques à l’arachide, à l’œuf ou au sésame. Les recherches sur la filaggrine éclairent l’importance de l’intégrité de la fonction barrière cutanée. Une mutation du gène codant cette protéine constitutive de l’épiderme, qui confère à la couche cornée son imperméabilité (capacité à retenir l’eau et à interdire l’entrée d’antigènes et de micro-organismes) est retrouvée dans 15 à 50 % des cas de DA selon leur sévérité. Mais même en l’absence de manifestation clinique, une filaggrine dysfonctionnelle favorise la sensibilisation épicutanée à l’ovalbumine dans un modèle murin. Sur cette base, une équipe britannique a examiné le rôle modificateur d’une mutation sur l’association entre l’exposition néonatale aux protéines d’arachide présentes dans la poussière domestique (corrélée à la consommation du foyer) et la sensibilisation (prick-test) ou l’allergie (cliniquement et/ou biologiquement documentée) à l’âge de 8 et/ou 11 ans dans une sous-population (n = 623) de la cohorte MAAS (Manchester Asthma and Allergic Study). Après ajustement sur les antécédents de DA et la sensibilisation à l’ovalbumine à l’âge de 3 ans, une relation dose-réponse est mise en évidence chez les enfants porteurs d’une mutation uniquement (les risques de sensibilisation et d’allergie à l’arachide sont respectivement multipliés par plus de 6 et de 3 pour une augmentation d’une unité de l’exposition correspondant à une multiplication par 2,7 de la charge en allergènes de la poussière). L’article présente d’autres données appuyant la relation entre une altération de la barrière cutanée et le risque d’allergie alimentaire. En regard, les auteurs soulèvent le besoin d’études cliniques évaluant l’effet d’un traitement topique de la xérose cutanée (application d’émollients) spécifiquement sur le risque d’allergie alimentaire.

Le rôle du microbiote dans la fonction immunitaire amène à évoquer la participation de facteurs modifiant sa composition dans le développement d’une allergie alimentaire. Quelques travaux expérimentaux soutiennent cette hypothèse, dont une étude identifiant les Clostridia comme la communauté du microbiote murin protectrice vis-à-vis de la sensibilisation aux protéines d’arachide et décrivant le mécanisme de régulation de la perméabilité épithéliale aux antigènes par ces bactéries. Chez l’homme, des preuves indirectes d’une influence de la composition du microbiote sur le risque d’allergie alimentaire sont fournies par quelques travaux, comme une vaste étude cas-témoin européenne (enfants âgés de 5 à 13 ans) reliant la vie à la ferme à une moindre prévalence de la sensibilisation à un mélange d’allergènes alimentaires communs (les manifestations cliniques n’ayant été considérées que pour les allergies cutanées et respiratoires), ou une étude de cohorte norvégienne qui rapporte une multiplication par 4 du risque d’allergie à l’œuf (dûment identifiée) à l’âge de 30 mois chez les enfants de mère allergique nés par césarienne (privés d’une primo-colonisation intestinale par des bactéries de la filière vaginale). Par rapport à une naissance par voie basse, la césarienne n’est toutefois associée qu’à une tendance non significative à l’augmentation de la sensibilisation à des allergènes alimentaires à 18 mois dans la cohorte PARIS (Pollution and Asthma Risk : an Infant Study).

Tour d’horizon des autres facteurs étudiés

L’augmentation parallèle des allergies alimentaires et de la part des produits transformés dans notre alimentation pose la question des effets des traitements appliqués à l’aliment sur son allergénicité. Si la chaleur intense peut être bénéfique pour certains comme les œufs et le lait de vache, mieux tolérés dans une pâte cuite, dans d’autres cas la cuisson augmente l’allergénicité de l’aliment ou conduit à la formation de néo-allergènes. La plus grande prévalence de l’allergie à l’arachide dans les pays occidentaux par rapport aux pays asiatiques serait ainsi liée au fait qu’elle est surtout consommée grillée dans les premiers (le rôtissage entraînant la formation de néo-composés) et bouillie dans les seconds (l’ébullition dénaturant les protéines et favorisant leur transfert dans l’eau). Paradoxalement, l’allergénicité des noisettes grillées est moindre. Le résultat des procédés de transformation semble varier selon la composition de l’aliment en protéines allergisantes et leur stabilité.

La découverte d’effets immunomodulateurs de la vitamine D a motivé des études dans le champ des maladies auto-immunes et allergiques, mais peu d’arguments étayent son intérêt pour la prévention des allergies alimentaires. La relation entre le déficit vitaminique et l’allergie a été indirectement appréhendée dans des études ayant utilisé la saison de naissance ou la latitude comme indicateur du déficit et l’usage d’auto-injecteurs d’adrénaline (traitement d’urgence du choc anaphylactique) comme marqueur d’allergie. Une association (indépendante de la DA) entre le déficit en vitamine D (taux sérique ≤ 50 nmol/L) et le risque d’allergie (arachide et/ou œuf) à l’âge d’1 an est toutefois rapportée dans la cohorte Healthnuts. D’autres travaux sont discordants et certains auteurs décrivent une relation en « U », à la fois un déficit et un excès de vitamine D augmentant le risque d’allergie.

Quelques études ont examiné le rôle de l’exposition à des produits chimiques (phtalates et bisphénol A) mais elles étaient focalisées sur la DA. Une association entre la concentration urinaire maternelle de monobenzylphtalate (MBzP) et le risque d’allergie alimentaire durant les deux premières années de vie a toutefois été mise en évidence dans une petite population (n = 147) d’une cohorte de naissances polonaise. Dans la National Health and Nutrition Examination Survey (NHANES 2005-2006, données disponibles pour 860 enfants d’au moins 6 ans), les taux urinaires du triclosan ont été associés à la sensibilisation à des allergènes alimentaires (taux d’IgE spécifiques pour quatre aliments) avec un effet modificateur du sexe. L’exposition au triclosan est également associée à la sensibilisation à des aéroallergènes, comme pour deux parabènes, alors qu’aucun effet du bisphénol A ou de la benzophénone-3 n’est observé. Le triclosan et les parabènes se distinguant par leurs propriétés antimicrobiennes, les auteurs retiennent l’hypothèse d’une action sur le microbiote plutôt que d’un effet perturbateur endocrinien.

La même hypothèse peut expliquer l’association entre la consommation précoce d’antibiotiques et le risque d’allergie alimentaire rapportée dans quelques études, moins souvent que pour le risque de DA. En revanche, les rares travaux sur l’effet d’un traitement inhibiteur de la pompe à proton sont contradictoires, et dans l’étude Healthnuts, les 109 nourrissons ayant reçu la première dose du vaccin trivalent diphtérie-tétanos-coqueluche avec un décalage d’un mois par rapport au calendrier vaccinal ont un risque de sensibilisation ou d’allergie alimentaire équivalent à celui du groupe vacciné plus tôt, bien que la prévalence du DA soit moindre.

Même si la quantité (et bien souvent la qualité) des études existantes est limitée, et qu’elles sont généralement peu comparables, cette littérature incite à poursuivre de façon plus rigoureuse l’examen des déterminants environnementaux du risque d’allergie alimentaire.

 

 

Commentaires

Dans les pays industrialisés, la transition épidémiologique – c’est-à-dire le passage des famines et des maladies infectieuses aux maladies chroniques ou dégénératives, graves ou bénignes (maladies cardio-vasculaires, cancers, maladies neurodégénératives, allergies, perturbations endocriniennes, etc.) comme cause principale de mortalité ou de morbidité – a donné lieu à un profond mouvement social de « sanitarisation » de l’alimentation mais aussi de l’environnement.

Dans ce contexte, s’est répandue l’opinion selon laquelle l’évolution des styles de vie dans ces pays a pu conduire, en l’absence de stimuli infectieux, à des perturbations immunitaires (en anglais : immune dysregulation), qui se manifestent par des sensibilisations allergiques ou par des allergies cliniques (alimentaires, cutanées ou respiratoires). Cette hypothèse est maintenant confortée scientifiquement par les résultats d’études épidémiologiques récentes qui comparent les incidences des allergies entre populations isolées et ethniquement proches (donc supposées analogues pour leurs prédispositions génétiques et leur acculturation), mais vivant dans des conditions socio-économiques différentes. Ces études sont citées dans la synthèse bibliographique présentée ici : Ring et al. (1999), Liu (2015), Haahtela et al. (2015) et Ruokalainen et al. (2017).

Cette revue de la littérature est remarquable pour sa concision et sa clarté. Elle fait l’inventaire des études établissant l’incidence de facteurs environnementaux sur un risque particulier que l’alimentation quotidienne fait courir pour la santé : l’allergie alimentaire. Elle traite plus précisément des effets perturbateurs de différents facteurs non alimentaires, qui n’interrompent pas directement le développement de la tolérance orale à un allergène alimentaire donné mais qui peuvent promouvoir indirectement son dévoiement vers l’allergie clinique. Elle montre que les études animales ou épidémiologiques se multiplient mais présentent encore souvent des faiblesses méthodologiques. Par ailleurs, l’effet de santé considéré est plus souvent la sensibilisation allergique que l’allergie cliniquement avérée. Elle insiste donc sur le besoin de combler les lacunes de connaissance actuelles et de progresser ainsi dans l’élucidation des causes des allergies alimentaires et leur remédiation.

Les auteurs recommandent notamment de réaliser des études épidémiologiques d’intervention construites suivant un plan rigoureux, à grande échelle, randomisé, avec contrôle par placebo, qui ciblent certains déterminants environnementaux spécifiques du mode de vie et examinent comme effet de santé l’allergie alimentaire rigoureusement définie. Ces études sont coûteuses. Si ce type de projet de recherche réussit à rencontrer l’intérêt des décideurs politiques de santé publique (réglementer pour manger sain et vivre dans un environnement sain) et celui de l’industrie agro-alimentaire, les financements nécessaires peuvent être obtenus.

 La dispute publique scientifique et citoyenne sur les perturbateurs immunitaires de l’alimentation et de l’environnement et leurs éventuelles interactions n’a pas encore eu lieu, dans le climat actuel de mollesse pour les allégations de santé des aliments et de discours catastrophistes, fluctuants et souvent contradictoires sur les risques sanitaires environnementaux. Mais elle pourrait naître à l’occasion d’une alerte ou d’un événement de grande ampleur. Gageons que l’avancée des connaissances qui résulterait du développement d’une recherche bien adaptée, permettrait un débat public moins confus et plus fécond que celui sur les perturbateurs endocriniens. Il serait alors utilisable pour fonder sereinement une politique de prévention efficace en passant par l’évaluation scientifique des risques d’allergie et la conception concertée de scenarii de gestion de risque, qui restent à faire.

Jean Lesne

 

 


Publication analysée :

* Yu JE1, Mallapaty A, Miller RL. It's not just the food you eat: environmental factors in the development of food allergies. Environ Res 2018 ; 165 : 118-24. doi : 10.1016/j.envres.2018.03.028

1 Division of Allergy, Immunology, Rheumatology, Department of Pediatrics, PH8E-101, Columbia University Medical Center, New York, États-Unis.