ANALYSE D'ARTICLE

Revue actualisée et méta-analyse des études sur la relation entre l’exposition domestique aux pesticides et la leucémie infantile

Cette nouvelle méta-analyse confirme une association positive entre l’exposition domestique/résidentielle aux pesticides et le risque de leucémie infantile et va plus loin que les précédentes en termes d’analyses en sous-groupes. Mais elle reste limitée par la qualité insuffisante des études incluses

Des différents facteurs environnementaux suspectés d’augmenter le risque de leucémie infantile (incluant l’exposition pré- ou postnatale au tabac, aux émissions du trafic, au benzène et aux solvants), les pesticides dans l’environnement domestique retiennent particulièrement l’attention. La maladie étant relativement rare, la littérature épidémiologique est composée d’études de type cas-témoins d’une puissance statistique souvent insuffisante pour détecter un effet de l’exposition, particulièrement sur les sous-types de leucémies. D’où l’intérêt de les combiner.

Les deux derniers travaux de ce type, publiés en 2015, sont une méta-analyse focalisée sur l’exposition domestique/résidentielle au cours de l’enfance (ne couvrant pas la période prénatale) incluant des études publiées jusqu’en 2012, et une analyse poolée des données de douze études du consortium CLIC (Childhood Leukemia International Consortium), réunissant près de 8 000 cas de leucémie aiguë lymphoblastique (LAL) et 740 de leucémie aiguë myéloïde (LAM) diagnostiqués entre 1980 et 2008. Dans la méta-analyse, le risque de leucémie est associé à l’utilisation d’insecticides à l’intérieur uniquement (odds ratio [OR] = 1,47 [IC95 : 1,26-1,72], calculé sur la base des résultats de sept études), ainsi qu’à l’exposition résidentielle aux herbicides (OR = 1,26 [1,10-1,44], cinq études). Distinguant trois périodes (pré-conception, grossesse, enfance), l’analyse poolée rapporte un effet de toute exposition à des pesticides (« any exposition ») sur le risque de LAL pour les trois (celui de l’exposition prénatale étant le plus marqué : OR = 1,43 [1,32-1,54] en combinant les données de neuf études), ainsi qu’un effet de l’exposition en préconception et in utero sur le risque de LAM.

Cette publication a été incluse dans la présente méta-analyse à laquelle elle contribue fortement (80 % du poids), avec 10 études déjà entrées dans de précédentes méta-analyses et quatre nouvelles. Partant de leurs critères d’inclusion (étude publiée en langue anglaise dans une revue à comité de lecture, rapportant l’effet de l’exposition résidentielle à des pesticides [utilisation à l’intérieur ou à l’extérieur] sur le risque de leucémie [en général ou sous-types] dans une population d’enfants et/ou d’adolescents jusqu’à l’âge de 18 ans), les auteurs ont d’abord effectué une recherche dans le matériel des quatre précédentes méta-analyses (dont la leur datant de 2011), puis dans la littérature publiée postérieurement jusqu’au 30 juin 2018, et les doublons ont été supprimés.

Principaux résultats

La méta-analyse des 15 études confirme une association positive entre l’exposition domestique/résidentielle aux pesticides et la leucémie infantile : le summary odds ratio (SOR) est égal à 1,57 (1,27-1,95), l’hétérogénéité étant élevée (I2 = 73 %). Aucune des analyses de sensibilité (en particulier exclusion de l’analyse poolée ou des deux études rapportant des résultats extrêmes) ne modifie sensiblement l’estimation. Ni le funnel plot, ni le test d’Egger n’indiquent un biais de publication.

Des résultats spécifiques à la LAL et à la LAM étaient respectivement disponibles dans huit et cinq études : le SOR est égal à 1,42 (1,13-1,80) pour la LAL (I2 = 58 %) et à 1,90 (1,35-2,67) pour la LAM (I2 = 60 %). Des analyses stratifiées ont pu être réalisées selon la fenêtre d’exposition, le lieu d’utilisation des pesticides (à l’intérieur ou à l’extérieur de l’habitation), leur catégorie (insecticide ou herbicide) et l’âge au diagnostic (≤ 2, 5, 15 ou 18 ans). Elles indiquent un effet particulier de l’exposition en période prénatale, associée au risque de LAL (SOR = 1,39 [1,21-1,60]) comme de LAM (SOR = 1,72 [1,25-2,37]), tandis que l’excès de risque lié à une exposition postnatale n’est pas significatif et que l’exposition en préconception n’est associée qu’à la LAL (SOR = 1,30 [1,12-1,51]). Les résultats des analyses selon le lieu et la catégorie avec sous-groupes d’exposition pré/postnatale sont cohérents. Considérant la LAL qui représente plus de 75 % des cas, des associations significatives émergent avec l’exposition domestique prénatale (SOR = 1,27 [1,07-1,51]), ainsi que l’exposition prénatale à des insecticides (SOR = 1,28 [1,07-1,53]) et des herbicides (SOR = 1,34 [1,32-1,36]).

D’autres analyses en sous-groupes ont été effectuées, tous types de leucémie confondus. L’exclusion des sept études présentant un score de qualité inférieur à la médiane renforce l’association pesticides-leucémie (SOR = 1,65 [1,32-2,05]) et réduit l’hétérogénéité (I2 = 56 %). À partir de trois à quatre études, des associations sont mises en évidence avec les antiparasitaires pour animaux domestiques (SOR = 1,41 [1,11-1,78]), les insectifuges (SOR = 1,38 [1,04-1,84]), les produits ciblant les moustiques (SOR = 1,88 [1,31-2,70]), et ceux appliqués par des professionnels de la lutte contre les nuisibles (SOR = 1,47 [1,20-1,80]).

Considérations générales

Si les méta-analyses se présentent comme une solution au problème du manque de puissance des petites études individuelles, elles n’effacent pas leurs défauts. Utilisant une version modifiée de la check-list de Downs and Black, les auteurs identifient deux grands points faibles des 15 études incluses (ce qui limite la force probante de leur méta-analyse) : les sources de biais (une seule étude se distingue par un faible risque de biais), et surtout l’évaluation de l’exposition, avec six études obtenant une note inférieure à la moitié du score maximum pour cet item.

Selon l’hypothèse actuelle, la leucémie naîtrait d’événements in utero induisant un clone préleucémique dont la transformation maligne s’achèverait durant l’enfance. Une longue période a pu ainsi s’écouler entre la première fenêtre de sensibilité à des agents leucémogènes et le moment où les investigateurs commencent à reconstituer rétrospectivement l’exposition, après le diagnostic. Le moyen constamment utilisé est un questionnaire parental qui peut être suffisamment détaillé pour permettre des analyses spécifiques, mais la qualité de l’information recueillie reste dépendante de la mémoire du répondant et un questionnaire capture mal toute la complexité d’une exposition résidentielle. Des échantillons biologiques ou environnementaux peuvent être collectés en complément, mais cette stratégie présente ses propres limites et difficultés.

En l’état actuel, la littérature fournit un niveau de preuve faible à modéré d’une association causale entre l’exposition aux pesticides et la leucémie. Sa qualité globale pourrait être considérablement améliorée par l’arrivée de vastes études marquant un progrès dans l’évaluation de l’exposition et la description de la maladie, intégrant idéalement une exploration génétique et moléculaire pour l’examen des interactions gènes-environnement. Étant donné la faible incidence de la leucémie infantile, un large effort international serait nécessaire. En attendant, et en composant avec l’incertitude et les limites actuelles des connaissances, les auteurs estiment souhaitable de réduire autant que possible l’exposition domestique aux pesticides, et d’élever l’attention portée aux femmes enceintes au même niveau que pour l’exposition des enfants.

 


Publication analysée :

* Van Maele-Fabry G1, Gamet-Payrastre L, Lison D. Household exposure to pesticides and risk of leukemia in children and adolescents: Updated systematic review and meta-analysis. Int J Hyg Environ Health 2019 ; 222 : 49-67. doi : 10.1016/j.ijheh.2018.08.004

1 Université Catholique de Louvain, Louvain Centre for Toxicology and Applied Pharmacology (LTAP), Bruxelles, Belgique.