Synthèse publiée le : 13/05/2019
Synthèse :
Alimentation et risques pour la santé : nouvelles données, nouvelles analyses
Les risques pour la santé liés aux pesticides ont beaucoup fait l’actualité médiatique en 2018, nourrie par des publications scientifiques mais aussi par des observations de cas de pathologies diverses, par exemple des agénésies transverses du membre supérieur chez des nouveau-nés en France, par des décisions de justice aux États-Unis concluant à la responsabilité du glyphosate dans la survenue d’un cancer du système lymphatique chez un jardinier professionnel et aussi par l’écho donné par des personnalités politiques attribuant toutes sortes d’effets de santé aux pesticides.
Les résultats de l’étude de la cohorte prospective : NutriNet-Santé
Un des articles largement commentés est la publication par une équipe française [1] d’observations associant la consommation d’aliments étiquetés « biologiques » à un risque diminué de risque de cancer dans la cohorte prospective NutriNet-Santé, constituée sur une base volontaire.
Les participants avaient un âge moyen de 44 ans et étaient en large majorité des femmes (78 %). L’étude a porté sur près de 70 000 personnes suivies de 2009 à 2016, avec un nombre cumulé de 1 340 cancers. La consommation d’aliments « biologiques » a été estimée à l’entrée dans l’étude par un questionnaire de fréquence de consommation par 3 rappels des 24 heures (jamais, parfois, le plus souvent) sur 2 jours de semaine et un jour de fin de semaine aléatoirement choisis sur une période de 2 semaines, tenant compte de la taille des portions d’aliments consommés. Des éléments d’ajustement ont été introduits dans les modèles pour tenir compte du biais social, la consommation d’aliments bio étant plus répandue chez les plus favorisés.
Au total, l’incidence cumulée des cancers est inférieure de 25 % chez les plus gros consommateurs de bio (4e quartile) par rapport aux plus petits consommateurs (1er quartile) avec une réduction absolue de risque de 0,6 %. La proportion de cas évités dans le cas d’une forte consommation de produits « bio » est de -6,78 %, l’impact estimé en population est donc important. Lorsque l’on regarde les cancers par sites, en comparant ces deux quartiles, il apparaît que le risque est significativement diminué pour les lymphomes et en particulier le lymphome non-hodgkinien (LNH), et le cancer du sein chez les femmes ménopausées. La diminution est à la limite de la significativité pour les cancers de la peau. En revanche, il n’apparaît pas d’effet sur le cancer de la prostate notamment, ce qui semble particulièrement intéressant dans la mesure où ce cancer a été fréquemment associé à l’exposition aux pesticides [2], ni sur le cancer du sein chez les femmes non ménopausées, ce qui attire aussi l’attention, on y reviendra, et pour aucun autre site de cancer. L’étude est bien réalisée en particulier sur la vérification des diagnostics, les perdus de vue sont rares (< 7 %). Plus discutable est l’estimation des apports alimentaires « bio », réalisée une seule fois à l’inclusion dans la cohorte, et semi-quantitative seulement.
Les auteurs incriminent « les pesticides » de synthèse, mais ils ne disposent d’aucune donnée d’exposition aux pesticides de synthèse ou autres. L’argumentation repose sur des bases très indirectes. Ainsi, l’association avec le risque de LNH est en accord avec les résultats de nombreuses autres études en milieu professionnel par exemple [3], et plus rarement en population générale [4].
En revanche, contrairement à ces études, il n’est pas mentionné d’association avec le risque de leucémie, et on ne comprend pas bien pourquoi on ne voit pas d’association avec le cancer du sein chez les femmes non ménopausées, observée ailleurs [5], alors même que l’hypothèse de la perturbation endocrinienne causée par ces pesticides est mise en avant.
Le rôle du « bio »
Au final, le problème principal quant à l’hypothèse de départ est la difficulté à ajuster sur les facteurs sociaux. Il est impossible de prendre en compte tous les déterminants possibles, les « causes des causes », alors que la population la plus consommatrice de « bio » est plus riche, mieux éduquée, que la cohorte est constituée de volontaires déjà a priori attentifs à leur santé avec les bonnes pratiques qui en découlent vis-à-vis du risque de cancer. Les plus gros consommateurs de « bio » sont plus minces, mangent moins de viande transformée ou non, font plus d’exercice physique, ont une situation socio-économique plus favorable etc. Ces multiples influences, individuellement ténues, constituent une possibilité majeure de biais. Elles sont susceptibles de se combiner, un réel « effet cocktail » qui peut expliquer une bonne partie des résultats présentés.
Cependant, en l’absence de démonstration mieux étayée sur les facteurs responsables de la diminution de risque observée chez les gros consommateurs de « bio », il semble de bon sens d’encourager le choix de ce type d’alimentation.
Le problème majeur est dès lors l’accès équitable à l’alimentation « bio », trop onéreuse pour une part considérable de la population. Il ne faudrait pas, dans l’intérêt de la santé publique, que la partie la moins favorisée de la population se détourne des fruits et légumes, déjà chers lorsque conventionnels, au motif que s’y trouvent peut-être plus de cancérogènes.
Un travail aussi robuste que le permet une évaluation de risques bien conduite, menée par des chercheurs québécois [6], montre que le bénéfice d’une alimentation comportant une quantité appropriée de fruit et légumes cultivés de manière conventionnelle est très élevé par rapport au risque des pesticides de synthèse considérés comme cancérogènes qui s’y trouvent : pour un cas de cancer lié à la présence des 28 pesticides considérés, 88 au moins sont évités grâce à l’apport en végétaux et fruits, quel que soit le mode de culture.
Il reste regrettable, en termes de promotion de la santé, que les médias n’aient pas donnés d’écho à ce résultat, contrairement à la première étude discutée plus haut [1].
Les molécules « obésogènes »
Plusieurs autres publications récentes ont fait l’objet d’analyses dans les récentes livraisons d’ER&S. Elles portent sur les facteurs de risque de développement de l’obésité. Elles questionnent en particulier la responsabilité en population humaine de molécules « obésogènes » sur l’animal de laboratoire, en interaction ou non avec le facteur fondamental qu’est le déséquilibre entre énergie consommée et énergie dépensée. Les facteurs de risque (« les causes des causes ») de ce déséquilibre sont très nombreux et très largement interdépendants, mais il s’agit globalement de déterminants sociaux et culturels. Le rôle propre de chacun, on l’a vu plus haut à propos de l’évaluation des bénéfices de santé apportés par une alimentation bio, est en conséquence de ces co-variations, très difficile à évaluer.
Pour les molécules obésogènes, l’apport des études expérimentales est bien sûr fondamental, ne serait-ce que pour déclencher les alertes et guider les investigations chez les humains. Les limites sont à la fois les conditions d’expérimentation selon les règles de l’art, où l’on peut contrôler tout, la seule différence entre animaux - génétiquement homogènes - traités ou non étant le traitement lui-même : on ne peut reproduire chez le rat l’immense diversité des influences sociales, culturelles et psychologiques ainsi que des comportements chez les humains. Il existe aussi des différences de métabolisme inter-espèces qui compliquent l’interprétation, par exemple l’importance relative du tissu adipeux brun dans la régulation énergétique [7].
L’article de Lichtveld et al. [8] examine l’ensemble des déterminants connus de développement de l’obésité infantile, y compris à des agents chimiques, perturbateurs endocriniens ou non, à l’occasion d’expositions prénatales. Les auteurs concluent fort justement à la nécessité d’une approche holistique. Cependant, s’il est bien fait état des différences de risque observées selon les classes sociales dans les pays développés (la prévalence de l’obésité tend à croître avec la défaveur sociale), la question n’est pas abordée d’examiner les données descriptives existantes à un niveau plus large.
La prévalence de l’obésité augmente mondialement, il serait intéressant de connaître les différences de prévalence selon les catégories sociales en fonction du degré de développement des pays, comme d’ailleurs pour les autres facteurs de risque identifiés, sociaux ou chimiques. De même, pour mieux cibler les molécules chimiques qui peuvent contribuer au développement de l’obésité et les études épidémiologiques à conduire, il serait utile de disposer d’une histoire de l’exposition possible à ces produits, de leur date d’introduction et leur intensité d’usage selon les pays. Les populations ont été exposées au DDT depuis le milieu du XXe siècle au niveau planétaire, mais l’intensité de l’exposition n’a pas été semblable selon les pays.
On peut généraliser la perspective aux autres molécules chimiques montrées obésogènes au laboratoire : elles ne sont pas nécessairement utilisées sur la totalité de la planète, et si c’est le cas les circonstances d’exposition peuvent différer. Par ailleurs, certaines sont d’introduction relativement récente, leur effet à terme est donc plus difficile à apprécier. Il est possible que la totalité de leur effet obésogène s’exerce durant la période prénatale, mais ceci reste à démontrer.
Conlusion
En l’état, les études épidémiologiques montrent des associations entre l’exposition à certaines molécules et le développement de l’obésité [8], d’autres études ne concluent pas à de telles associations (par exemple [9]). Cependant, outre l’évidente nécessité de poursuivre la recherche, en particulier pour estimer les risques attribuables à chacun des facteurs de risque, on en sait assez pour mettre en place des politiques de prévention à titre de précaution. Dans le premier cas, les recommandations diététiques classiques gardent toute leur importance ; on a vu qu’il y a un bénéfice à consommer des légumes et fruits en dépit des traces de pesticides qui s’y trouvent. Encore faut-il que ces aliments soient financièrement accessibles aux moins favorisés. Pour ce qui est de la précaution, on ne voit pas quel bénéfice direct ou indirect il pourrait y avoir à laisser des populations exposées à des molécules au moins suspectes : minimiser les expositions paraît raisonnable, avec à nouveau la nécessité de politiques actives pour permettre à chacun d’accéder à des produits bio.
Liens d'intérêt :
L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêt en rapport avec le texte publié.
Références
[1] Baudry J, Assmann KE, Touvier M, et al. Association of frequency of organic food consumption with cancer risk: Findings from the nutrinet-santé prospective cohort study. JAMA Internal Medicine. 2018;10.1001/jamainternmed.2018.4357
[2] Silva JF, Mattos IE, Luz LL, Carmo CN, Aydos RD. Exposure to pesticides and prostate cancer: systematic review of the literature. Rev Environ Health. 2016;31(3):311-27.
[3] Alavanja MC, Hofmann JN, Lynch CF, et al. Non-hodgkin lymphoma risk and insecticide, fungicide and fumigant use in the agricultural health study. PLoS One. 2014;9(10):e109332.
[4] Bradbury KE, Balkwill A, Spencer EA, et al. Organic food consumption and the incidence of cancer in a large prospective study of women in the United Kingdom. British Journal Of Cancer. 2014;110:2321.
[5] Engel LS, Werder E, Satagopan J, et al. Insecticide Use and Breast Cancer Risk among Farmers' Wives in the Agricultural Health Study. Environ Health Perspect. 2017;125(9):097002.
[6] Valcke M, Bourgault MH, Rochette L, et al. Human health risk assessment on the consumption of fruits and vegetables containing residual pesticides: A cancer and non-cancer risk/benefit perspective. Environ Int. 2017;108:63-74.
[7] Cypess AM, Lehman S, Williams G, et al. Identification and Importance of Brown Adipose Tissue in Adult Humans. 2009;360(15):1509-17.
[8] Lichtveld K, Thomas K, Tulve NS. Chemical and non-chemical stressors affecting childhood obesity: a systematic scoping review. J Expo Sci Environ Epidemiol. 2018;28(1):1-12.
[9] Kalloo G, Calafat AM, Chen A, et al. Early life Triclosan exposure and child adiposity at 8 Years of age: a prospective cohort study. Environ Health. 2018;17(1):24.