Synthèse publiée le : 13/05/2019

Synthèse : Composés organiques semi-volatils en mélanges et santé

Nous sommes exposés, en particulier dans les logements, à de multiples composés organiques semi-volatils, aux effets ou aux mécanismes d’action communs. De plus en plus d’études, notamment en France, s’intéressent à leurs expositions et aux risques cumulés.

 

État des connaissances

Les composés organiques semi-volatils (COSV) sont présents, en concentrations souvent faibles, dans les environnements intérieurs. Ces composés sont par exemple des plastifiants comme les phtalates ou les bisphénols, des retardateurs de flamme comme les polybromodiphényléthers, les polychlorobiphényles ou les organophosphates, ou des insecticides tels que les organochlorés, les organophosphorés ou les pyréthrinoïdes. D’autres, notamment les hydrocarbures aromatiques polycycliques, proviennent des processus de combustion.

Les COSV se caractérisent par :

  • la complexité de leur comportement, avec, d’une part, un équilibre de répartition entre les phases gazeuses et particulaires et, d’autre part, des interactions avec les surfaces et les vêtements ;
  • leur capacité à exposer chroniquement les personnes du fait de leur émission continue pendant la durée de vie des matériaux. En effet, leur faible volatilité a pour conséquence que le réservoir constitué par les matériaux émetteurs, et secondairement la poussière, n’est que très peu affecté par la volatilisation ;
  • la présence simultanée de nombreux composés dans les environnements intérieurs dont l’habitat ainsi que leur capacité à exposer par différentes voies : par inhalation d’air et de particules fines, par ingestion de poussières déposées par contact main-bouche, mais aussi par contact cutané avec la phase gazeuse de l’air qui a été mis en évidence plus récemment ;
  • leur présence, avec une forte prévalence, dans les matrices biologiques humaines (urines, sang, etc.).

Dans cette synthèse des avancées récentes de la recherche, nous nous focaliserons sur les approches des COSV en mélange, qui sont venues compléter les nombreuses études axées sur des familles de contaminants.

En 2016 Mitro et al. ont effectué une méta-analyse des mesures de COSV dans les poussières déposées de maison aux États-Unis d’Amérique [1]. Les auteurs ont en particulier mis en évidence des retardateurs de flamme notamment bromés et phosphorés, des phtalates, phénols et perfluorés. Une identification des dangers associés aux composés présents leur a permis de conclure à la nécessité d’une évaluation des risques sanitaires du mélange. En effet de nombreux composés concourraient à des effets de même nature, notamment sur la reproduction, le développement, ou la cancerogénécité.

En France, Pelletier et al. ont publié une évaluation des expositions résidentielles à des COSV qui était fondée sur des campagnes nationales de mesure représentatives des logements français ; cette évaluation sur 32 COSV (phtalates, polybromodiphényléthers, les polychlorobiphényles, pesticides…) prend en compte l’inhalation d’air, le contact cutané ainsi que l’ingestion de poussières [2]. Ensuite les auteurs ont entrepris une évaluation des risques sanitaires associés à ces expositions. L’évaluation des risques sanitaires a été menée substance par substance mais également pour des mélanges sous l’hypothèse d’additivité des doses ou des réponses et pour différentes tranches d’âge [3].

La nouveauté réside dans l’inclusion de composés de familles chimiques différentes dans le mélange étudié. Ils ont pour cela notamment étudié la toxicité relative de divers composés de familles chimiques différentes [4, 5]. L’évaluation montre en premier lieu des risques inacceptables pour de vieux COSV aujourd’hui interdits (lindane, bromodiphényléther-47, par exemple).

Mais surtout, l’approche cumulée de premier niveau (basé sur des effets communs) a fourni des informations complémentaires. Pour 95 % des enfants en bas âge et 5 % des enfants à naître (exposition des femmes enceintes) exposés à des mélanges de composés reprotoxiques, des effets néfastes sont susceptibles de survenir (Hazard Index > 1).

L’approche cumulée de second niveau (fondée sur des effets cellulaires ou des mécanismes d’action communs), a révélé un risque inacceptable pour 95 % des enfants exposés simultanément à 9 composés neurotoxiques induisant une mort neuronale, pour 5 % des enfants exposés simultanément aux polychlorobiphényles 105 et 118 dont les effets toxiques sont médiés par le récepteurs arylhydrocarbone- et pour 5 % des enfants et des adultes exposés simultanément à 4 composés reprotoxiques induisant une diminution du taux de testostérone.

Des effets immunotoxiques sont également susceptibles de survenir pour 5 % des enfants exposés à 8 polychlorobiphényles. En revanche, pour la survenue de cancers gastro-intestinaux, les résultats ont révélé un risque acceptable pour un adulte exposé de la naissance à ses 30 ans à un mélange de 4 hydrocarbures aromatiques polycycliques. L’évaluation comporte également une discussion des incertitudes et notamment du niveau de preuve des effets chez l’homme. En termes de méthode d’évaluation des risques sanitaires, on peut noter que le premier niveau d’évaluation des risques sanitaires cumulée (estimations des Hazard Index) n’est pas le plus protecteur, contrairement à ce qui est généralement attendu. En effet, davantage de composés sont inclus dans le groupe neurotoxique, alors que ce n’était pas l’effet critique ayant servi aux calculs des VTR utilisées pour le calcul des HI substance par substance.

Si ces études constituent un progrès dans l’étude des expositions aux mélanges de COSV et de leurs effets, elles sont toujours confrontées aux limites de l’hypothèse d’additivité des risques, et à la transposition d’effets de l’animal à l’homme. Dans ce contexte, on peut noter qu’une équipe américaine a récemment développé un tube à diffusion passive à base de mousse de polyuréthane dont l’utilisation est prometteuse en épidémiologie [6]. En effet, du moins pour les COSV les plus volatils, ils ont observé un bon accord entre leur prototype et les mesures actives, et ce pour des COSV de familles chimiques variées : phtalates, polybromodiphényléthers, organophosphates. Cela augure d’une possible utilisation dans des études épidémiologiques à large échelle qui permettraient d’étudier les effets conjoints des COSV en mélange, et ce chez l’humain en condition réelle d’exposition.

Cependant, ainsi que cette même équipe le rappelle fort opportunément [7], si les recherches sur le sujet doivent se poursuivre compte tenu des enjeux de santé publique, elles ne doivent pas retarder, au vu des connaissances déjà acquises, l’adoption de mesures de prévention des expositions aux COSV, et de façon plus générale aux composés chimiques. Au sujet de l’utilisation des acquis de la recherche, on peut d’ailleurs noter que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail a inscrit à son programme de travail l’évaluation agrégée à des COSV comme les phtalates.

 

Liens d’intérêt

Interventions ponctuelles (en rapport avec le texte publié) :
- rapports d’expertise, activités de conseil, conférences, invitations en qualité d’auditeur (frais de déplacement et d’hébergement pris en charge par une entreprise) ;
- expertise institutionnelle pour Anses : membre du Comité d’expert spécialisé « Risques liés au milieu aérien ».

 

Références

[1] Mitro SD, Dodson RE, Singla V, Adamkiewicz G, Elmi AF, Tilly MK, Zota AR: Consumer Product Chemicals in Indoor Dust: A Quantitative Meta-analysis of U.S. Studies. Environmental science & technology 2016, 50(19):10661-10672.

[2] Pelletier M, Bonvallot N, Ramalho O, Mandin C, Wei W, Raffy G, Mercier F, Blanchard O, Le Bot B, Glorennec P: Indoor residential exposure to semivolatile organic compounds in France. Environment international 2017, 109:81-88.

[3] Pelletier M, Glorennec P, Mandin C, Le Bot B, Ramalho O, Mercier F, Bonvallot N: Chemical-by-chemical and cumulative risk assessment of residential indoor exposure to semivolatile organic compounds in France. Environment international 2018, 117:22-32.

[4] Fournier K, Baumont E, Glorennec P, Bonvallot N: Relative toxicity for indoor semi volatile organic compounds based on neuronal death. Toxicology letters 2017, 279:33-42.

[5] Fournier K, Tebby C, Zeman F, Glorennec P, Zmirou-Navier D, Bonvallot N: Multiple exposures to indoor contaminants: Derivation of benchmark doses and relative potency factors based on male reprotoxic effects. Regulatory toxicology and pharmacology : RTP 2016, 74:23-30.

[6] Dodson RE, Bessonneau V, Udesky JO, Nishioka M, McCauley M, Rudel RA: Passive indoor air sampling for consumer product chemicals: a field evaluation study. J Expo Sci Environ Epidemiol 2018.

[7] Zota AR, Singla V, Adamkiewicz G, Mitro SD, Dodson RE: Reducing chemical exposures at home: opportunities for action. J Epidemiol Community Health 2017.