ANALYSE D'ARTICLE

Temps passé devant un écran, portable allumé la nuit : impacts sur la qualité du sommeil et l’état de forme des adolescents

Participant à combler le manque d’études longitudinales en la matière, cette analyse des données de la cohorte suisse HERMES (Health Effects Related to Mobile Phone Use in Adolescents) produit de nouvelles preuves des effets néfastes de la surconsommation d’écrans pour les adolescents. Elle soutient tout particulièrement la recommandation d’éteindre son téléphone au coucher pour s’endormir rapidement et passer une nuit calme.

Les articles sur les causes du raccourcissement de la durée du sommeil et de son altération chez les adolescents pointent régulièrement du doigt une consommation excessive d’écrans (ordinateur, tablette, télévision, console de jeux vidéo, téléphone portable). Ils attirent spécialement l’attention sur les activités stimulantes aux heures précédant le coucher, et sur les perturbations du sommeil induites par l’arrivée ou l’attente d’une communication.

Si les associations mises en évidence dans les études observationnelles et leurs explications forment apparemment un tout cohérent, le fait que cette littérature soit essentiellement constituée d’études transversales jette un doute sur le sens de la relation. Par exemple, une enquête montrant que les adolescents qui se couchent avec leur téléphone allumé dorment moins bien que ceux qui l’éteignent n’écarte pas l’hypothèse d’une difficulté première à trouver le sommeil qui a conduit l’adolescent à prendre l’habitude d’emporter son téléphone au lit.

Examinant les relations entre l’exposition aux écrans et aux alertes du téléphone la nuit et l’apparition de troubles du sommeil et de signes de méforme chez des adolescents qui n’en rapportaient pas au départ, cette étude longitudinale – l’une des premières à l’ère du smartphone – fournit des résultats plus probants. Les auteurs demandent toutefois de les interpréter en considérant deux éléments. D’une part, la coïncidence temporelle entre le retard de phase accompagnant la puberté (endormissement et réveil spontanés plus tardifs) et la naissance de l’intérêt (ou plus souvent l’augmentation de l’appétence) pour les médias sociaux. D’autre part, le rôle (potentiellement confondant ou intermédiaire) de facteurs psychosociaux importants à cette étape de contruction identitaire, ainsi que du niveau de stress, qui ont été négligés car non mesurés dans la cohorte HERMES.

Matériel et méthode

Les données de base ont été collectées en deux vagues (juin 2012 et avril 2014) dans cette cohorte de 895 écoliers du secondaire (selon le système éducatif suisse) qui ont rempli le questionnaire papier en temps de classe. Elles incluaient des informations socio-démographiques (complétées par un questionnaire parental), relatives au mode de vie (dont le temps passé quotidiennement sur tablette, ordinateur, télévision et portable, les habitudes d’extinction du portable la nuit et la fréquence des réveils occasionnés par des appels ou notifications de messages), ainsi que des informations sur l’état de santé.

Une échelle de Likert à quatre niveaux était proposée pour les troubles du sommeil (difficultés d’endormissement, agitation, réveils involontaires, réveil trop tôt) et l’état de forme du mois précédent (fatigue, épuisement, manque de concentration, manque d’énergie). Une classification dichotomique a été opérée pour chaque symptôme par regroupement des deux niveaux inférieurs (jamais/rarement) et supérieurs (parfois/souvent) de l’échelle. Des outils spécifiques ont été utilisés pour l’état de bien-être physique perçu (Kidscreen-52) et le retentissement des céphalées (HIT-6), les participants étant alors classés asymptomatiques ou symptomatiques au seuil de la valeur médiane du score.

Un questionnaire de suivi a été administré environ un an plus tard (376 jours en moyenne). Le taux de participation a été de 94,2 %, ramenant à 843 adolescents la population disponible pour l’analyse longitudinale. L’âge au moment de la première évaluation allait de 10,4 à 17 ans, la tranche d’âge 13-15 ans étant majoritaire (78,7 %). Les filles étaient un peu plus représentées (56,4 %) et pratiquement tous les participants disposaient d’un portable, généralement un smartphone (à l’évaluation finale, 827 adolescents avaient un téléphone dont 800 un smartphone). Entre les deux évaluations, la proportion des adolescents disant l’éteindre la nuit ou le déconnecter du réseau (« mode avion ») avait augmenté (de 22,5 à 28 %) et la fraction de la population rapportant des réveils dus au téléphone avait diminué (de 20,4 à 11,5 %). Le temps quotidiennement passé sur écran (durée totale en cumulant les quatre postes) avait peu évolué (médiane : 180,8 puis 173,6 min/jour).

L’exposition aux écrans a été définie par une valeur supérieure à la médiane. Pour les réveils induits par le téléphone, les auteurs ont retenu le seuil d’au moins un réveil par mois, ce qui est très peu, mais trois précédentes études utilisant ce critère rapportent son association à des plaintes de fatigue. Il peut être considéré comme témoignant d’une communication active jusqu’à l’endormissement, retardé par l’excitation des échanges. L’arrivée d’un appel ou d’un message peut relancer l’activité et l’état de vigilance, prolongeant l’interruption du sommeil. L’association entre les réveils dus au téléphone et le raccourcissement du sommeil n’a cependant pas pu être explorée dans cette cohorte, la durée du sommeil n’ayant pas été recueillie.

L’échantillon analysable (population asymptomatique à la base) allait de 425 à 686 adolescents selon le trouble. Son risque de survenue a été estimé dans les groupes exposés aux deux évaluations (« toujours exposés ») ou à l’une d’elles, en référence au groupe des adolescents « jamais exposés ». Le modèle était ajusté sur l’âge, le sexe, la nationalité, le niveau de la classe, l’activité physique extra-scolaire, la consommation d’alcool et de tabac, le caractère urbain ou rural de la zone de résidence, le niveau d’études des parents, le nombre de jours entre les deux évaluations et la croissance staturale.

Résultats marquants

L’étude indique une relation entre les réveils dus aux alertes du téléphone et l’apparition de deux des quatre troubles du sommeil : les difficultés d’endormissement et l’agitation. Dans le groupe ayant rapporté au moins un réveil par mois aux deux évaluations, les odds ratio (OR) sont égaux à 3,51 (IC95 : 1,05-11,74) pour les difficultés d’endormissement et 5,66 (2,24-14,26) pour les nuits agitées. Les résultats sont peu modifiés (respectivement OR = 3,44 [1,03-11,54] et 5,39 [2,13-13,65]) après ajustement supplémentaire sur l’utilisation du téléphone en journée (données fournies par les opérateurs pour 38,8 % des participants l’ayant accepté, à défaut modélisation d’après les variables prédictives), ce qui soutient la responsabilité de son usage nocturne. L’absence de relation avec les deux autres troubles (réveils involontaires non induits par le téléphone, réveil trop tôt le matin) s’accorde avec l’hypothèse d’un rattrapage de sommeil.

Un effet des réveils dus au téléphone n’est pas mis en évidence dans le groupe des adolescents non exposés à la base, qui le sont devenus. Une détérioration globale de la qualité du sommeil est cependant observée : la probabilité qu’au moins une des réponses aux quatre questions sur les troubles du sommeil soit « souvent » est accrue (OR = 3,64 [1,48-8,95] porté à 3,69 [1,49-9,12] par l’ajustement sur l’utilisation en journée). Le réveil par le téléphone est également associé au manque de concentration dans ce groupe nouvellement exposé (OR = 3,15 [1,22-8,14]).

Le temps passé sur écran apparaît pour sa part associé aux difficultés d’endormissement (OR = 2,35 [1,27-4,34]) dans le groupe toujours exposé et 2,64 [1,33-5,26)] dans celui nouvellement exposé), ainsi qu’à l’épuisement (OR = 2,23 [1,21-4,13]) et au manque de concentration (OR = 3,18 [1,56-6,48]) dans le groupe toujours exposé. Enfin, certains résultats dont une diminution significative du risque de réveils précoces (OR = 0,45 [0,21-0,97]) suggèrent que le passage du statut exposé au statut non exposé s’est accompagné d’une amélioration de l’état de santé.

 


Publication analysée :

* Foerster M1, Henneke A, Chetty-Mhlanga S, Röösli M. Impact of adolescents’ screen time and nocturnal mobile phone-related awakenings on sleep and general health symptoms: a prospective cohort study. Int J Environ Res Public Health 2019 ; 16(3). pii : E518. doi : 10.3390/ijerph16030518

1 Department of Epidemiology and Public Health, Swiss Tropical and Public Health Institute, Bâle, Suisse.