Fondements scientifiques

Concepts

Jean-Claude André

INSIS, CNRS, Paris

Volume 19, numéro 5, Septembre-Octobre 2020

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ANALYSE D'ARTICLE

Une société (de l’analyse) du risque ?

Quand Ulrich Beck a publié son ouvrage de référence [1], l’analyse des risques faisait déjà l’objet d’une approche scientifique monodisciplinaire, mais il était encore possible de relier entre eux des phénomènes identiques, cependant analysés par des disciplines disjointes. L’ampleur des risques semblait maîtrisable, négociable, etc., dans une logique comptable ! Mais qu’en est-il aujourd’hui ?

Si la présence des effets d’un danger (le risque est le produit du danger par l’exposition) se traduit par des situations problématiques, se pose naturellement la question de la responsabilité et, en conséquence, de la réparation pour ceux qui ont été atteints. Les tribunaux gèrent au quotidien ce type de situations sans tenir compte des réflexions de Beck.

Mais, il existe des situations, disons répétitives, qui ont conduit à des normes : reconnaissance d’un danger (exemple de maladies professionnelles), mesure de l’exposition, cadre juridique résultant d’un accord social, etc. C’est ce que David Demortain considère comme un domaine posant question parce que pour Beck, comme pour lui, le savoir scientifique est suspect. Or, si la science peut faire plus et mieux (pour autant qu’elle dispose de moyens suffisants) dans un monde toujours renouvelé, de plus en plus complexe, c’est bien l’accord (ou le désaccord) social qui règle, quand c’est possible, la norme de fonctionnement du système de gestion des risques. On fait apparaître le débat traditionnel de la place de l’expertise dans la décision publique.

La question de fond est qu’il existe nombre de situations où les connaissances scientifiques sont insuffisantes pour (bien) décider. L’auteur parle avec raison d’une transition vers la société de la controverse. C’est bien ce qui a émergé avec des débats publics récents (nanotechnologies, enfouissement de déchets nucléaires) et de l’émergence du principe de précaution (dont il ne parle pas). Pour autant, certains risques sont associés à des désirabilités fortes : tabagisme, alcoolisme, jeux numériques, etc., pour lesquels les scientifiques ont déjà fait un travail conséquent et crédible. Où est leur faute ? N’en est-il pas de même pour l’environnement ? Alors, peut-on accepter de fonctionner avec des risques non maîtrisés, des expositions non mesurables ? Ou des risques maîtrisables pour lesquels on fait peu ?

C’est bien cette première situation qui fait émerger les inquiétudes des citoyens ou des travailleurs pour qui la science n’est plus capable d’apporter les éclairages nécessaires à un minimum de sérénité. Mais quand elle dit le vrai, qu’en fait-on ?

Commentaire

Cet article écrit par un chercheur qui connaît bien son sujet est intéressant pour sa démarche, qui est de retrouver le fil de la réflexion non seulement d’Ulrich Beck, mais d’autres auteurs engagés dans le même domaine (sans avoir retrouvé dans la bibliographie les œuvres de Hans Jonas). Cependant, d’un point de vue plus pratique se pose la question de la décision dans l’incertain, de l’expertise lacunaire, de savoir où chercher des financements orientés vers des cibles inadaptées et de la confiance de ceux qui peuvent être atteints par une nuisance particulière ou plus diffuse (multi-expositions)... Tous ces éléments présentés ne font pas forcément le procès de la science en tant que telle, peut-être de ses résultats et/ou du choix des sujets, ou de ce que représente une « bonne » expertise quand elle est menée sous pression temporelle... Tous ces petits cailloux dans la chaussure existent et sont sans doute plus importants que la vision de Beck, pour satisfaisante (ou pas) intellectuellement qu’elle soit. Il nous faut tenter de vivre en société.

  • [1] Beck U. Risk Society: Towards a New Modernity. Los Angeles: Sage Ed; 1992.

Publication analysée :

* Demortain D. Une société (de l’analyse) du risque ? Natures Sciences Sociétés 2019 ; 27(4) : 390-8. Doi : 10.1051/nss/20200005