ANALYSE D'ARTICLE

Relation température-mortalité : nouvelles analyses multi-pays

Deux publications émanant d’un réseau de recherche international font avancer les connaissances concernant la relation entre la température et la mortalité et son évolution dans le contexte du changement climatique. Confirmant une tendance globale à l’atténuation de l’impact de la chaleur, la première suggère la contribution prépondérante d’autres facteurs que l’adaptation physiologique. La seconde indique que l’écart de température diurne est une variable importante à considérer.

La nécessité de suivre de près les effets du changement climatique pour orienter les politiques de santé publique a déjà motivé un bon nombre de travaux. Ceux relatifs à l’association chaleur-mortalité montrent qu’elle s’affaiblit en différents lieux, suggérant que les populations deviennent moins sensibles aux températures élevées. En regard, alors que le froid est responsable d’une proportion relativement plus importante des décès, peu d’études renseignent sur l’évolution de la vulnérabilité au froid et leurs conclusions sont contradictoires. Considérant les deux versants de la gamme des températures, une nouvelle investigation incluant des pays aux climats contrastés fournit un éclairage global sur le phénomène d’adaptation. Les auteurs se sont également intéressés aux effets sur la mortalité de l’amplitude journalière de température (DTR pour diurnal temperature range), indicateur jusque là peu considéré mais pertinent du point de vue des contraintes imposées à l’organisme et apparaissant sensible au changement climatique.

Présentation générale

La vaste base de données constituée par une collaboration internationale (Multi-Country Multi-City Collaborative Network) déjà exploitée pour d’autres travaux [1, 2] a été réutilisée pour ces deux analyses. La première repose sur un jeu de données (comptes journaliers de mortalité toutes causes et températures journalières moyennes) intéressant 305 sites (villes généralement, sinon régions administratives) dans 10 pays : Australie, Brésil, Canada, Corée du Sud, Espagne, États-Unis, île d’Irlande (quatre régions de la République d’Irlande et deux d’Irlande du Nord), Japon, Royaume-Uni et Suisse. La durée d’observation va de 14 ans (Brésil : 18 villes, période 1997-2011) à 27 ans (Japon : 47 préfectures, 1985-2012). Les données utilisées pour la seconde analyse (comptes journaliers de mortalité toutes causes et DTR) proviennent de 308 sites dans 10 pays, dont neuf en commun avec la première liste (la Suisse en moins et la Colombie en plus), incluant les deux principaux contributeurs (États-Unis : 135 sites ; Espagne : 51). La durée d’observation va de 14 ans (Brésil) à 40 ans (Japon).

La relation exposition-mortalité a d’abord été établie pour chaque site avec un modèle de régression non linéaire acceptant un délai de réponse pouvant aller jusqu’à 21 jours, ainsi qu’une variation de la relation dans le temps (time-varying distributed lag non-linear model), les tendances saisonnières à long terme et le jour de la semaine étant contrôlés. Les résultats individuels ont ensuite été combinés à l’échelle du pays par méta-régression.

L’effet de l’exposition sur la mortalité a été estimé de manière classique sous forme de risque relatif (RR), mais aussi en termes de fraction attribuable (FA) pour mieux apprécier sa contribution à la charge de mortalité.

Mortalité liée à la chaleur : en baisse

La première analyse met en évidence une diminution de la mortalité liée à l’exposition à une chaleur extrême (RR pour une température au 99e percentile versus la température de mortalité minimale [TMM]) dans la plupart des pays (statistiquement significative au Canada, au Japon et aux États-Unis) dans un contexte de décalage à la hausse des températures. Au Canada, par exemple, le RR passe de 1,174 (IC95 : 1,102-1,249) en 1986 (TMM = 17,1 ̊C) à 1,049 (0,998-1,103) en 2011 (TMM = 18,7 ̊C). L’analyse par période de cinq ans entre 1985 et 2009 montre une diminution dans le temps de la part de mortalité attribuable à une température supérieure à la TMM simultanément à une augmentation de la température moyenne journalière (TMJ). Ainsi, sur la période 1985-1989 durant laquelle la TMJ était de 7,2 ̊C, 0,69 % des décès survenus au Canada peuvent être imputés à la chaleur (IC95 : 0,55-0,83), tandis que la FA en fin d’observation (2005-2009) est estimée à 0,38 % (0,20-0,53) pour une TMJ égale à 7,5 ̊C.

L’impact de la chaleur sur la mortalité diminue partout sauf en Irlande (où il apparaît nul sur toute la période d’observation), au Royaume-Uni (où la FA augmente légèrement de 0,23 à 0,28 %) et à l’exception notable de l’Australie pour laquelle les données étaient limitées (trois sites seulement, FA passant de 0,05 % sur la période 1990-1994 à 0,67 % sur la période 2005-2009, la TMM baissant simultanément de 27,4 à 22,8 ̊C). Dans les autres pays, la baisse de la mortalité imputable à la chaleur peut s’expliquer par des mécanismes adaptatifs intrinsèques (acclimatation physiologique à des températures croissantes) ou extrinsèques (changements dans les infrastructures, les services sanitaires, etc., atténuant l’impact de la chaleur). Afin d’examiner la contribution respective de ces deux composantes de l’adaptation, l’évolution de la FA a été modélisée année après année dans chaque pays à température constante et relation exposition-réponse variable ou selon le scénario contrefactuel. En comparant les courbes issues de ces simulations aux observations réelles, il apparaît clairement qu’un processus d’acclimatation à la chaleur ne peut expliquer la tendance à long terme, ni même suffire à contenir l’augmentation de la mortalité avec l’élévation des températures. La baisse de la mortalité liée à la chaleur semble gouvernée par des mécanismes extrinsèques qui ont été capables jusqu’ici de contrebalancer les effets du réchauffement climatique en donnant même aux populations un train d’avance. Ces résultats encouragent à développer des stratégies d’adaptation pour la population générale et plus particulièrement en direction des groupes les plus vulnérables.

Mortalité imputable au froid : pas de tendance claire

Dans tous les pays examinés, la part de la mortalité imputable à l’exposition à des températures inférieures à la TMM dépasse nettement celle attribuable à la chaleur. La FA au froid a suivi une évolution variable selon les pays durant la période d’observation : elle a diminué au Brésil (de 4,39 à 2,60 %), en Espagne (de 6,58 à 3,89 %) et au Japon (de 10,25 à 8,91 %), et plus encore en Australie et en Irlande où elle dépassait initialement 15 %. Une évolution inverse est observée aux États-Unis (augmentation de la FA de 5,63 à 6,54 %), tandis que la tendance est stable au Canada, en Corée du Sud et en Suisse (fraction de la mortalité attribuable au froid restant respectivement autour de 5, 8 et 3 % durant toute la période d’observation).

Les scénarios indicatifs des processus en jeu dans la baisse de la mortalité liée à la chaleur se révèlent peu pertinents pour la mortalité liée au froid, dont on sait qu’elle dépend d’autres variables que la température, comme la sévérité de l’épidémie de grippe saisonnière. Son influence n’a pas pu être examinée par manque de données. D’une manière générale, l’étude est limitée par l’absence de prise en compte de facteurs non climatiques susceptibles d’agir sur la relation température-mortalité et d’influencer son évolution (pollution atmosphérique, urbanisation, changements démographiques, croissance économique, etc.).

Amplitude thermique : impact non négligeable sur la mortalité

Les données ne montrent pas de tendance uniforme à la hausse ou à la baisse de l’écart entre les températures maximale et minimale au cours de la journée, dans un contexte général de faible augmentation de la température moyenne. La comparaison des valeurs mesurées durant les trois premières et les trois dernières années de la période d’observation indique par exemple que la DTR a augmenté parallèlement à la TMJ au Brésil (passant de 8,8 ̊C en moyenne au cours des années 1997-1999 [TMJ = 24,1 ̊C] à 9,1 ̊C en 2009-2011 [TMJ = 24,3 ̊C]) ainsi qu’en Corée, en Irlande et en Australie, alors qu’elle a baissé au Japon (de 8,8 à 8,2 ̊C entre les années 1972 à 1974 [TMJ = 14,4 ̊C] et 2010 à 2012 [15,5 ̊C]) et aux États-Unis.

L’effet de la DTR sur la mortalité a été apprécié en calculant l’excès de risque associé, d’une part, à l’exposition à une valeur au 99e percentile par rapport à un écart de température nul, d’autre part, à une augmentation de 10 ̊C de la DTR (délai de réponse allant jusqu’à 14 jours). Les résultats indiquent des effets de la DTR plus importants et rapides dans les pays chauds (Australie, Brésil et Espagne) que dans les pays aux climats plus froids comme le Royaume-Uni et le Canada. L’augmentation de 10 ̊C de la DTR est associée à une augmentation significative de la mortalité dans la plupart des pays, en particulier en Corée (+ 6 % [IC95 : 3-9,1]), en Espagne (+ 4,4 % [3-5,8]) et au Brésil (+ 4,2 % [1,7-6,7]).

Ces trois pays sont aussi ceux pour lesquels la fraction des décès attribuables à la DTR est la plus importante (respectivement estimée à 4,5 %, 4,2% et 3,7 %). L’analyse de son évolution dans le temps montre qu’elle a augmenté dans tous les pays à l’exception du Japon et de l’Irlande. Les pentes les plus fortes concernent la Corée (où la FA a augmenté de 0,56 % par an en moyenne sur les 19 années d’observation) et la Colombie (0,31 % par an sur 16 années), tandis que le rythme est particulièrement lent au Canada et aux États-Unis (respectivement 0,03 et 0,09 % d’augmentation par an sur 26 et 22 ans).

Ces résultats ouvrent plusieurs pistes de travail. L’impact plus important de la DTR sur la mortalité dans les pays chauds suggère que l’exposition à des températures élevées réduit la tolérance de l’organisme aux écarts brutaux de température, incitant à examiner l’hypothèse d’un effet aggravant du réchauffement climatique. Un facteur clé pourrait être le veillissement de la population qui accompagne la hausse de l’impact de la DTR sur la mortalité dans les pays examinés. En tout état de cause, les auteurs estiment que l’amplitude thermique mérite d’être considérée dans les politiques de santé publique comme dans la recherche sur les effets sanitaires du changement climatique, initialement focalisées sur les dangers des fortes chaleurs.

  • [1] Environ Risque Sante 2015 ; 14 : 464-5. doi : 10.1684/ers.2015.0814
  • [2] Environ Risque Sante 2017 ; 16 : 121-2. doi : 10.1684/ers.2017.0977

Publication analysée :

* Vicedo-Cabrera AM1, Sera F, Guo Y, et al. A multi-country analysis on potential adaptive mechanisms to cold and heat in a changing climate. Environ Int 2018 ; 111 : 239-46. doi : 10.1016/j.envint.2017.11.006

1 Department of Social and Environmental Health Research, London School of Hygiene and Tropical Medicine, Londres, Royaume-Uni.

# Lee W1, Bell ML, Gasparrini A, et al. Mortality burden of diurnal temperature range and its temporal changes: a multi-country study. Environ Int 2018 ; 111 : 123-30. doi : 10.1016/j.envint.2017.10.018

1 Graduate School of Public Health, Seoul National University, Séoul, République de Corée.