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Méthodologie - Exposome

Year Book 2016

Paul Quindroit
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Synthèse publiée le : 01/04/2016

Exposome

Vers une cartographie haut-débit des causes non-génétiques des maladies chroniques : les technologies omiques devraient permettre de déterminer l’ensemble des expositions subies par un individu durant toute sa vie.


Contexte

Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), deux tiers de la population mondiale décèdent aujourd’hui de maladies chroniques, en particulier cardiovasculaires et cancéreuses. Ces maladies sont causées par une combinaison de facteurs génétiques et environnementaux (facteurs physiques, chimiques, biologiques, sociaux, psychosociaux et esthétiques)[a]. Les expositions aux facteurs environnementaux sont extrêmement variées, changeantes et complexes, et la part des maladies chroniques qui leur est attribuable est très mal connue. On l'estime encore au mieux entre « faible » (20 %) et « majoritaire » (80 %). Il s'ensuit des batailles idéologiques, paralysantes et stériles, sous-tendues de préoccupations financières considérables, sur la « vraie » valeur de cette part attribuable et les meilleures stratégies de réduction de l'impact des maladies chroniques. La recherche en santé environnementale a depuis toujours recensé ces facteurs environnementaux, établi des liens entre expositions mesurées et maladies chroniques, déduit les risques pour la santé humaine et développé des politiques de santé publique plus ou moins appropriées. Depuis quelques années, des méthodes analytiques à haut débit (métabolomique) et le développement de capteurs individuels permettent une cartographie beaucoup plus large et efficace des expositions aux facteurs environnementaux. On parlait naguère de gènes et d'expositions, on parle aujourd’hui de génomes et d'exposomes, de génomique et d'exposomique.

 

Définition de l’exposome

Terme proposé par Wild en 2005 [1], qui constatait le déséquilibre entre notre connaissance du génome et celle de « l'environnement », l'exposome est un objet conceptuel, plus qu'un objet physique. Si l'objet n'a pas le mérite de la précision, le terme a celui de la nouveauté. L'exposome désigne donc le catalogue et la mesure de toutes les expositions subies par un individu au cours de sa vie. Il comprend bien sûr les expositions chimiques ou physiques extérieures (toutes sources confondues), mais aussi le contexte psychosocial (par exemple, le stress induit par les horaires en 3/8) et les régulations du milieu intérieur (par exemple, le stress oxydant induit par une carence vitaminique). L'exposomique est l'ensemble des méthodes concourant à l'établissement d'exposomes individuels. Seuls les facteurs de risque génétiques en sont exclus et l’exposome complète le génome par définition. Charge ensuite à l'épidémiologie d'agréger ces exposomes au niveau de la population et d'identifier les facteurs de risque les plus importants.

Pour essayer de préciser la notion d'exposome, trois grandes catégories de facteurs non génétiques peuvent être définies : facteurs internes, externes spécifiques et externes généraux. En interne, l’exposome intègre les processus tels que le métabolisme, les hormones endogènes circulantes, l'activité physique, la microflore intestinale, les processus inflammatoires, la peroxydation des lipides, le stress oxydant et le vieillissement, etc. Les expositions externes spécifiques comprennent les rayonnements, les agents infectieux, les substances et mélanges chimiques (y compris alcools, tabacs, etc.), l'alimentation et les interventions médicales, entre autres. Finalement les facteurs généraux incluent les influences sociales, économiques et psychologiques propres à l'individu (capital social, éducation, situation financière, stress psychologique, environnement urbain ou rural et le climat). Il peut s’avérer difficile de classer une exposition dans une des trois catégories et certaines expositions peuvent se retrouver dans plusieurs catégories à la fois.

 

Méthodologies

Cartographier l'exposome d'un individu est une tâche titanesque en raison de la complexité des données à collecter sur une vie entière. L'exposomique telle qu'elle est définie plus haut est un peu un rêve d'omniscience. La réalité est plus prosaïque. Les innombrables expositions spécifiques sont difficiles à mesurer en raison d'un manque pur et simple de connaissance de leur existence, ou de l'absence de méthodes suffisamment sensibles. Les indicateurs d'exposition peuvent être transitoires et certaines fenêtres d'exposition telles que la grossesse, la petite enfance, la puberté ou les années de reproduction sont peut-être plus critiques que d'autres. Opérationnellement, deux approches complémentaires coexistent pour caractériser l’exposome individuel [2] :

  • L’approche « ascendante » part de la mesure de chaque source d’exposition externe et des caractéristiques personnelles d'un sujet pour estimer l’exposome individuel. Elle est classique, mais sa mise en œuvre extensive demande énormément de ressources, avec le risque de passer à côté d’une exposition non identifiée ou de minimiser l'impact des processus endogènes.
  •  L’approche « descendante » utilise des mesures biologiques (sur prélèvements sanguins, urinaires, etc.) afin de reconstituer l’exposition individuelle. Les méthodologies employées reposent essentiellement sur les technologies omiques[b]. L’inconvénient d’une telle approche est la difficulté à lier les expositions internes à des sources externes précises.

Les méthodes utilisées les plus avancées sont donc la métabolomique (mesure par résonance magnétique nucléaire ou spectroscopie de masse des concentrations de l'ensemble, en théorie, des petites molécules présentes dans un milieu donné) et l'utilisation en continu de capteurs individuels. De tels capteurs et les téléphones « intelligents » permettent de recueillir de multiples paramètres physiologiques ou de l'environnement. La masse de données fournies par ces méthodes requiert des analyses statistiques sophistiquées et des méthodes intégratives dont le développement est actuellement un vrai défi scientifique. Par exemple, il faut des modèles d’exposition interne, tels que les modèles toxicocinétiques, permettant de cumuler au niveau individuel des expositions spatialisées très diverses. Pour le moment on se contente souvent de résumer les données obtenues par quelques mesures compréhensibles qui prennent alors le nom de biomarqueurs. Par exemple on a proposé de mesurer le stress psychosocial à l'aide de biomarqueurs tels que les niveaux de cortisol sanguins. Ces biomarqueurs peuvent permettre de reconstruire des expositions passées, de comprendre l'origine des différences de susceptibilité ou de mesurer des effets plus ou moins précoces ou subtils. En outre, ils s'intègrent utilement dans une description causale des mécanismes des relations expositions-pathologies.

 

État des connaissances et actualité scientifique en 2015

Plusieurs projets collaboratifs ont émergé tant au niveau américain qu’européen pour répondre aux défis posés par la dimension multidisciplinaire de l’exposome. Parmi ces projets, nous pouvons citer HERCULES pour le développement de nouveaux outils et technologies omiques, les projets CHEAR et HELIX sur la caractérisation de l’exposome chez l’enfant depuis sa conception, et les projets EXPOSOMICS et HEALS qui visent à déterminer l’exposome à un niveau individuel.

L’application du concept d’exposome reste encore difficile à mettre en œuvre. Par exemple, Robinson et al. (2015) [3] ont caractérisé les corrélations entre différents groupes expositions, incluant des composés chimiques (métaux, polluants de l’eau, etc.), l’environnement quotidien (espaces verts, densité de population), le bruit environnemental et la température, durant la grossesse. Les résultats montrent que les niveaux des entités composant un même groupe d’exposition sont fortement corrélés. Ainsi, les différents indicateurs de bruit montrent les plus fortes intra-corrélations (r médian = 0.99) et les différents composés perfluorés ont un r médian de 0.62. Cependant la majorité des corrélations intergroupes étaient très faibles (seules 11 % étaient supérieures à 0.5). De telles études mettent en avant le besoin de nouvelles méthodes d’analyse afin de limiter les biais des analyses actuelles et ainsi améliorer la détection de liens causaux.

Rogler et al. (2015) [4] passent en revue les facteurs environnementaux pouvant modifier l’activité métabolique de la microflore intestinale, en lien avec l’apparition de maladies inflammatoires de l’intestin (MII). L’augmentation récente des cas de MII pourrait peut-être plus facilement s'expliquer par des changements d’expositions environnementales que par des changements génétiques rapides. Parmi les facteurs environnementaux potentiels recensés on peut citer : la pollution de l’air, les aliments riches en protéines animales, les médicaments anti-inflammatoires non-stéroïdiens ou antibiotiques, un contexte psychosocial dégradé, les infections bactériennes, la pollution de l’eau, les additifs alimentaires, le tabagisme. Cette étude offre une vision relativement complète des liens entre exposome et MII, mais sans établir de hiérarchie entre les différentes expositions.

De façon plus appliquée, Andra et al. (2015) [5] ont reconstruit l’exposition prénatale et de l’enfance à des produits chimiques organiques à l'aide des dents de lait. De nombreuses substances chimiques (métaux et composés organiques dont certaines ont de très courtes demi-vies dans le sang et l'urine) peuvent être mesurées rétrospectivement de cette façon.

 

Actualités réglementaires et législatives

En France, le Plan national santé environnement (PNSE) vise à développer depuis 2004 une approche multidisciplinaire en santé environnementale. La partie “enjeux de connaissance des expositions, de leurs effets et les leviers d’action” de la troisième édition (2015-2019) du plan fait plus explicitement référence à l’exposome, lien entre une approche par milieux et une approche par pathologies. L’exposome est pris comme un ensemble d’indicateurs pour des programmes de biosurveillance offrant une vision intégrée de l’historique des expositions aux agents chimiques, physiques et infectieux. Enfin, la loi de modernisation du système de santé français, adoptée le 17 décembre 2015 à l’Assemblée nationale, fait également référence à l’exposome comme base de l'identification des facteurs de risque sanitaire.

 

Perspectives et questions

Tout d'abord, il est essentiel que l'exposomique respecte des principes éthiques. On conçoit facilement qu'un suivi exhaustif des activités des individus, même en vue d'assurer leur santé, puisse être détourné très loin de cet objectif. De plus de nombreuses expositions environnementales préoccupantes manquent de biomarqueurs d'exposition spécifiques et sensibles (par exemple, le bruit, la température ou les champs électromagnétiques). Une autre question clé concerne la validation de biomarqueurs omiques et de fait, peu de ces biomarqueurs ont été correctement validés par des études épidémiologiques. L’exposomique devrait aussi mieux intégrer les sciences sociales. Dans bon nombre de cohortes épidémiologiques[c], les couches socio-économiques les plus faibles sont sous-représentées alors qu'a priori leurs risques de maladies chroniques sont plus élevés que ceux du reste de la population. Par ailleurs, d'un point de vue conceptuel, où s’arrête l'exposomique et où commence la biologie systémique[d] ? Le génome régule le protéome et le métabolome et vice versa, et la question est ouverte : qu'en est-il de l'épigénome[e] ?

Enfin, le rapport « Exposure science in the 21st century: a vision and a strategy » du National Research Council américain propose un concept d’« éco-exposome » encore plus large, plaidant pour la collecte de données d'exposition pour caractériser la santé des écosystèmes, sous l'hypothèse qu’un écosystème sain est une condition préalable à une bonne santé humaine. Nous n'avons probablement pas fini d'entendre parler de « Big Science » et de « Big Data »...

 

Déclaration de lien d’intérêt en rapport avec le texte publié : aucun

 

Références

1. Wild CP. The exposome: from concept to utility. International Journal of Epidemiology 2012 ; 41 : 24-32.

2. Rappaport SM. Implications of the exposome for exposure science. Journal of Exposure Science and Environmental Epidemiology 2011 ; 21 : 5-9.

3. Robinson O, Basagana X, Agier L, et al. The pregnancy exposome: multiple environmental exposures in the INMA-Sabadell birth cohort. Environmental Science and Technology 2015 ; 49 : 10632–41.

4. Rogler G, Vavricka S. Exposome in IBD: recent insights in environmental factors that influence the onset and course of IBD. Inflammatory Bowel Diseases 2015 ; 21 : 400-8.

5. Andra SS, Austin C, Wright RO, et al. Reconstructing pre-natal and early childhood exposure to multi-class organic chemicals using teeth: towards a retrospective temporal exposome. Environment international 2015 ; 83 : 137-45.

 

Notes

[a] Telle que définie par l’OMS, la santé environnementale (environmental health) comprend les aspects de la santé humaine, y compris la qualité de la vie, qui sont déterminés par les facteurs physiques, chimiques, biologiques, sociaux, psychosociaux et esthétiques de notre environnement. Elle concerne également la politique et les pratiques de gestion, de résorption, de contrôle et de prévention des facteurs environnementaux susceptibles d’affecter la santé des générations actuelles et futures.

[b] Ensemble des technologies permettant de détecter et quantifier les gènes (génomique), l’acide ribonucléique (ARN) messager (transcriptomique), les protéines (protéomique) ou les métabolites (métabolomique) dans un échantillon biolo­gique.

[c] Étude qui repose sur le suivi des sujets y participant selon un protocole préétabli ayant pour but de décrire les circonstances de survenue et l’évolution des maladies. Les résultats observés permettent d’argumenter l’éventuelle causalité des liens mesurés.

[d] Étude et modélisation des règles fondamentales qui régissent le fonctionnement global et dynamique d’unecellule. Elle se concentre sur des ensembles d’éléments en interaction les uns avec les autres (ADN, protéines, complexes moléculaires, édifices supramoléculaires, petites molécules, etc.).

[e] L'épigénétique étudie toutes les modifications (ou facteurs) modulant l’expression des gènes pour une séquence d'ADN donnée.