Synthèse publiée le : 13/05/2019

Synthèse : Rôle de l’exposition aux pesticides sur les capacités intellectuelles de l’enfant

L’exposition humaine à des pesticides ayant des propriétés neurotoxiques est fréquente et a été associée dans la littérature scientifique à des déficits neuro-développementaux chez l’enfant, qui induisent un coût important pour la société.

 

La population exposée aux pesticides

Les pesticides ont été conçus pour contrôler ou lutter contre des organismes vivants, considérés par l’Homme comme nuisibles pour ses activités. Ils se catégorisent selon leurs cibles : par exemple, les herbicides contre les mauvaises herbes, les fongicides contre les champignons, les insecticides contre les insectes et les parasites, les rodenticides contre les rongeurs… Ils sont majoritairement utilisés dans le secteur de l’agriculture mais également par d’autres acteurs (e.g. collectivités, industries) ainsi qu’en usage domestique, et en médecine humaine et vétérinaire.

Le principal mode d’action des insecticides est de cibler le système nerveux des insectes pour les contrôler ou les éliminer. Les processus neurochimiques mis en œuvre peuvent être similaires à ceux existants chez l’homme. Des préoccupations pour la santé humaine neuro-développementale ont ainsi été fréquemment exprimées pour cette catégorie de pesticides depuis plusieurs décennies, bien que le potentiel de neurotoxicité soit également démontré pour certains herbicides et fongicides [1].

On ne peut aujourd’hui plus nier que nous sommes tous en contact régulièrement avec des pesticides et leurs formes dégradées. Un grand nombre d’études françaises – et internationales, incluant les programmes de biosurveillance des populations, ont en effet montré la présence ubiquitaire de ces molécules dans des prélèvements biologiques à la fois d’adultes et d’enfants. En France, la présence de métabolites d’insecticides organophosphorés dans les prélèvements urinaires est passée de 100 % à 30 % pour les études les plus récentes. Pour les insecticides pyréthrinoïdes la tendance est inverse (de 70 % à 100 % pour les études les plus récentes).

 

Une littérature scientifique de plus en plus abondante

L’intelligence se définit de façon trs générale comme l’ensemble des capacités mises en œuvre pour résoudre un problème. Elle est un concept théorique dont l’objectivation est en évolution permanente. Il est aujourd’hui admis qu’il est réducteur d’évaluer les capacités intellectuelles avec un unique score, le quotient intellectuel (QI). L’intelligence est appréhendée de façon multidimensionnelle. Des outils de mesure de l’intelligence sont par exemple des échelles composites qui permettent de comprendre les processus et stratégies mis en œuvre pour répondre à une diversité de tâches. Ces échelles sont standardisées sur une population de référence bien délimitée et à un temps donné, et ces étalonnages sont mis à jour régulièrement [2].

La littérature scientifique s’intéressant à l’impact des pesticides sur la santé humaine neuro-développementale est grandissante. Les atteintes possibles étudiées sont variées et peuvent concerner les fonctions motrices et sensorielles des nourrissons, les capacités intellectuelles des enfants, ainsi qu’une grande variété de traits comportementaux incluant les difficultés attentionnelles et les troubles du spectre autistique, et parfois même la structure cérébrale.

 

Une forte présomption pour les insecticides organophosphorés

Une expertise collective de l’Inserm ayant réalisé un bilan de la littérature scientifique en 2013 a conclu à une présomption forte (« ++ ») de lien entre l’exposition aux insecticides organophosphorés subie pendant la grossesse et diverses atteintes du neuro-développement de l’enfant dont des diminutions de capacités intellectuelles [3]. Elle notait toutefois que les études ayant permis ce bilan étaient conduites aux États-Unis, essentiellement dans des populations hispaniques et afro-américaines ayant de faibles revenus et potentiellement soumises à d’autres facteurs de vulnérabilité pouvant influencer les associations observées. Depuis ce bilan, plusieurs études conduites sur des populations de petite taille et a priori plus exposées (e.g. région agricole) en Thaïlande et en Chine ont confirmé ces conclusions. Deux autres études de cohorte de bonne qualité ont été conduites avec une méthodologie comparable aux précédentes études (marqueurs urinaires d’exposition pendant la grossesse, suivi longitudinal des familles, outils standardisés de mesure des performances intellectuelles des enfants, etc.) mais sur des populations d’origine caucasienne et ayant en majorité un bon niveau d’études. Ces études ont observé des niveaux d’exposition similaires à certaines des études précédentes, mais n’ont pas rapporté de baisse des capacités intellectuelles des enfants entre 1 et 6 ans en association avec l’exposition prénatale aux insecticides organophosphorés [4, 5]. Une hypothèse pouvant expliquer cette apparente contradiction avec les résultats des précédentes études est la possibilité de mécanismes de compensation mis en place par des stimulations reçues de l’environnement de l’enfant, indiquant ainsi une réversibilité possible de certains effets sur le neuro-développement, s’ils existent. Cette hypothèse a été soutenue par une étude récente observant un déficit des capacités intellectuelles en lien avec l’exposition, plus important pour les enfants issus d’un environnement défavorisé (e.g. « poor learning environment », niveau socio-économique faible, symptômes dépressifs maternels) [6].

D’autres éléments de preuve de la neurotoxicité développementale des insecticides organophosphorés ont été apportés par la littérature biologique et animale. Elle suggère divers mécanismes d’action touchant des processus universels au fonctionnement cérébral humain. Le premier évoqué est l’inhibition de l’acétylcholinestérase, nécessaire à l’hydrolyse du neurotransmetteur l’acétylcholine qui joue un rôle important et en particulier trophique dans le développement du système nerveux central.

La réglementation des insecticides organophosphorés varie fortement dans le monde, due aux conclusions divergentes des agences de régulation [7]. La plupart des modèles de réglementation des substances chimiques fonctionnent par substance active, alors que les études épidémiologiques existantes apportent des réponses à un contexte réel d’exposition à de multiples organophosphorés. En Europe, un certain nombre d’insecticides organophosphorés a été interdit ou restreint, avec un débat controversé actuel concernant le chlorpyrifos, parmi les insecticides organophosphorés les plus couramment utilisés, pour lequel les autorités européennes doivent décider d’une ré-homologation ou non. Dans cette optique de régulation, des analyses de l’impact économique sociétal ont été menées récemment par des scientifiques - indépendants des contraintes financières liées à ces insecticides. Elles ont permis d’estimer une perte de capacités intellectuelles de la population Européenne représentées par 13 millions de points de QI par an qui induiraient une baisse de productivité coûtant 146 milliards d’euros par an (i. e. 322 euros/habitant/an) [8]. L’ensemble des autres altérations neuro-développementales, telles que l’apparition de troubles du spectre autistique, pour lesquelles les preuves sont encore récentes et limitées, ne sont pas considérées dans cette approche macroscopique conduisant à une sous-estimation de ces coûts sociétaux.

Pour l’individu, une diminution des capacités intellectuelles, traduite quantitativement par une perte de quelques points de QI (e.g. équivalente à une baisse des performances de quelques %) pourrait être jugée comme sans conséquence majeure. Or, selon le concept des Origines Développementales de la Santé et des Maladies (9), cette diminution doit être considérée comme un marqueur sous-clinique d’une modification du développement du cerveau et de son fonctionnement pouvant conduire à des dysfonctionnements plus importants et à des maladies à un âge ultérieur. Les conséquences, ou le coût, pour l’individu et son entourage peuvent ainsi être également préoccupants.

Les conclusions issues de ces recherches excluent clairement le hasard statistique. Certaines franges de la population pourraient être plus vulnérables face à la neurotoxicité développementale de ces insecticides. Le fait que l’effet soit suggéré dès un niveau d’exposition dit faible, rencontré communément dans la population générale et depuis plusieurs décennies devrait inciter à une réglementation plus stricte et plus efficace des insecticides organophosphorés.

 

De suspicions plus récentes : les insecticides pyréthrinoïdes et les expositions subies aux domiciles

La littérature scientifique récente s’est également intéressée à d’autres familles d’insecticides en particulier la famille des pyréthrinoïdes proposés par l’industrie chimique en substitution aux insecticides organophosphorés. L’exposition à ces insecticides pyréthrinoïdes se produit dans des contextes variés, via les utilisations domestiques et/ou agricoles ou les luttes antivectorielles. Deux études ont suggéré une diminution des scores aux tests du développement du langage avant l’âge de deux ans en lien avec l’exposition prénatale à ces insecticides. Pour deux autres études, alors qu’elles n’ont pas observé de diminution des performances intellectuelles des enfants entre 4 et 9 ans, une augmentation de troubles de comportement, comme l’anxiété, ou une difficulté de régulation émotionnelle, a été observée de façon concordante en lien avec l’exposition prénatale aux insecticides pyréthrinoïdes.

En conclusion, ces éléments récents de recherche pourraient constituer des premiers signaux de nocivité de certains de ces insecticides pyréthrinoïdes. Ils appellent, à nouveau, à une plus forte vigilance et un examen plus approfondi et plus spécifique de la toxicité possible de ces molécules chimiques avant leur mise sur le marché. En parallèle, de nouvelles recherches doivent être conduites rapidement pour confirmer ou non ces premiers résultats.

Enfin, plusieurs analyses d’une étude de cohorte conduite en région agricole de la Californie ont récemment suggéré une baisse des capacités intellectuelles des enfants à 7 et 10 ans en lien avec la proximité des résidences aux zones agricoles traitées par des insecticides organophosphorés et carbamates pendant la période prénatale, et par des produits pour fumigations lorsque les expositions ont lieu pendant l’enfance. Ces quelques études suggèrent que les sources d’exposition aux pesticides autres qu’alimentaires peuvent contribuer à l’exposition totale et à l’effet possible sur le neuro-développement. Plusieurs enquêtes françaises récentes montrent que les principaux usages de produits pesticides réalisés aux domiciles ciblent les insectes (i. e. mouches, moustiques, cafards, etc.) et les parasites (i. e. puces, etc.) - ces produits ne sont malheureusement pas inclus dans la nouvelle loi française en vigueur au 1er janvier 2019 qui interdit la vente aux particuliers de tout produit phytosanitaire utilisé dans les jardins et espaces verts. La contribution de cette source domestique d’exposition sur la santé neuro-développementale est encore inconnue.

 

Des appels à la réduction des expositions évitables

Finalement, des appels à réduire l’exposition aux pesticides et diverses recommandations d’action possible ont été proposés par des groupements de scientifiques [9], et divers organismes internationaux (e.g. Organisation des Nations Unies, Unicef). Ils appellent les gouvernements par exemple à mettre en place des actions de réglementations plus efficaces, à promouvoir l’éducation continue des professionnels de santé et des décideurs à la santé environnementale, à informer et sensibiliser le grand public pour la réduction de son exposition, et à programmer une surveillance régulière des contaminations environnementales et des expositions humaines. En parallèle en 2014, une alerte à reconnaître cette préoccupation sanitaire a été formulée par l’Académie américaine de pédiatrie offrant des moyens d’action auprès de l’ensemble des professionnels de la santé de l’enfant [10].

 

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Références

[1] Bjørling-Poulsen M, Andersen HR, Grandjean P. Potential developmental neurotoxicity of pesticides used in Europe. Environ Health. 2008 ; 22(7):50

[2] Tourrette C. Évaluer les enfants avec déficiences ou troubles du développement. Les outils du psychologue. Dunod, Paris, 2006

[3] INSERM. Pesticides. Effets sur la santé. Collection expertise collective, Inserm, Paris, 2013

[4] Cartier C, Warembourg C, Le Maner-Idrissi G et al. Organophosphate Insecticide Metabolites in Prenatal and Childhood Urine Samples and Intelligence Scores at 6 Years of Age: Results from the Mother-Child PELAGIE Cohort (France). Environ Health Perspect. 2016;124(5):674-80.

[5] Donauer S, Altaye M, Xu Y et al. An Observational Study to Evaluate Associations Between Low-Level Gestational Exposure to Organophosphate Pesticides and Cognition During Early Childhood. Am J Epidemiol. 2016;184(5):410-8.

[6] Stein LJ, Gunier RB, Harley K, Kogut K, Bradman A, Eskenazi B. Early childhood adversity potentiates the adverse association between prenatal organophosphate pesticide exposure and child IQ: The CHAMACOS cohort. Neurotoxicology. 2016;56:180-187.

[7] Hertz-Picciotto I, Sass JB, Engel S et al. Organophosphate exposures during pregnancy and child neurodevelopment: Recommendations for essential policy reforms. PLoS Med. 2018;15(10):e1002671.

[8] Bellanger M, Demeneix B, Grandjean P, Zoeller RT, Trasande L. Neurobehavioral deficits, diseases, and associated costs of exposure to endocrine-disrupting chemicals in the European Union. J Clin Endocrinol Metab. 2015;100(4):1256-66.

[9] Charles MA, Delpierre C, Bréant B. Le concept des origines développementales de la santé. Med Sci (Paris) 2016 ; 32 : 15–20. Accessible : https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/full_html/2016/01/medsci20163201p15/medsci20163201p15.html

[10] Roberts JR, Karr CJ; Council On Environmental Health. Pesticide exposure in children. Pediatrics. 2012; 130(6):e1765-88. Accessible : http://pediatrics.aappublications.org/content/pediatrics/130/6/e1765.full.pdf