Synthèse publiée le : 01/04/2017

Fondements de la radioprotection :
Avancées dans l’évaluation du risque et la modélisation des faibles doses

Le rapport 2012 du United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation (UNSCEAR), paru en 2015 et disponible en 2016, est un état de l’art en matière méthodologique pour l’éva­luation des risques liés aux rayonnements ionisants. Il est de très grand intérêt pour l’évaluation des risques en santé environne­ment en général.

 

Les risques associés aux effets des faibles doses de rayonnements ionisants sont discutés depuis des décennies. Il s’agit du fondement des standards et normes de radioprotection, avec à la clé des enjeux sociétaux et industriels majeurs.

Les connaissances qui justifient les normes actuelles de protection des travailleurs et du public sont essentiellement basées sur l’observation de la cohorte des survivants des bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki en 1945, la « Life Span Study ». Cependant, malgré la robustesse et l’ampleur de ces données, accumulées jusqu’à ce jour, des incertitudes demeurent.

Le rapport 2012 du United Nations Scientfic Committee on the Effects of Atomic Radiation (UNSCEAR) [1], disponible en 2016, fait un état détaillé (328 pages) de l’état de l’art.

 

Mécanismes biologiques de l’action des rayonnements à faibles doses

Le rapport UNSCEAR 2012 conclut à l’existence d’indications d’une réponse modulée différemment entre fortes et faibles doses de l’expression des gènes et protéines, mais les données sont insuffisantes pour conclure, les recherches doivent donc se poursuivre.

 

Modélisation des effets à faibles doses

Le rapport discute des observations à faibles doses, qui montrent en particulier l’effet du voisinage cellulaire (bystander effect) sur la réponse des cellules qui ont effectivement reçu une dose. La réponse n’est pas linéaire, il existe un plateau au-delà de 100 mSv. Ces observations vont à l’encontre d’une extrapolation linéaire de fortes à faibles doses, elles soutiennent plutôt une relation supralinéaire, c’est-à-dire que le risque par unité d’exposition est plus élevé à très faible dose. Il n’est cependant pas possible, sur la base des observations, de trancher en faveur exclusive de ce mécanisme, d’autres observations et hypothèses sont en faveur d’allures différentes (à seuil, hormétiques…) de la relation dose-ré­ponse à très faibles doses. La discussion est fort bien synthétisée.

L’UNSCEAR insiste sur le fait que les risques par unité de dose liés aux irradiations aiguës (par exemple les survivants des bombardements atomiques) sont similaires à ceux liés aux irradiations chroniques (par exemple les travailleurs de l’indus­trie nucléaire).

L’UNSCEAR ne disposait pas au moment de ses travaux des résultats de l’étude INWORKS, présentée dans le Yearbook 2015 [2]. Rappelons que cette analyse conjointe de trois cohortes (France, Royaume-Uni, États-Unis) de plus de 308 000 travail­leurs de l’industrie nucléaire est remarquablement puissante (8,22 millions personnes-années, doses individuelles estimées avec une précision satisfaisante). Elle conclut à un excès de risque de mortalité par leucémie myéloïde chronique pour des doses inférieures à 100 mSv. C’est la première fois qu’un risque de mortalité par cancer est observé significatif à ce niveau de dose. On attend avec intérêt le commentaire de l’UNSCEAR sur cette étude, en particulier sur l’influence possible de facteurs de confusion sur les résultats.

 

Développement de la recherche

Le rapport UNSCEAR 2012 propose aussi de faire porter la recherche à venir sur les interactions entre rayonnements ioni­sants et d’autres cancérogènes (tabac, virus, alimentation, style de vie), ce qui serait particulièrement pertinent pour inter­préter les études à faibles doses et faibles risques, par définition très sensibles à l’effet des facteurs de confusion.

 

Attribution des effets de santé observés aux rayonnements ionisants

Le rapport discute des conditions d’utilisation du risque attribuable, à des fins de réparation ou de dédommagement. Cette question revêt une actualité certaine dans une période où les modalités d’indemnisation de personnes exposées aux retombées radioactives des essais nucléaires français, en Polynésie française notamment, font débat.

L’UNSCEAR rappelle à juste titre que les cancers radio-induits ne sont aucunement spécifiques des rayonnements ionisants, autrement dit un cancer développé chez une personne ne peut en toute certitude être attribué à l’exposition à ces rayon­nements. Toutefois, si l’incidence spontanée d’un type de cancer particulier est faible et si la radiosensibilité de ce type de cancer est élevée, alors l’attribution de ce cancer à l’exposition aux rayonnements ionisants devient plausible. C’est par exemple le cas des cancers de la thyroïde après exposition à ces rayonnements. Il reste que plausibilité n’est pas certitude et que l’on ne peut nullement exclure, même dans ces conditions, que le cancer apparu le soit à la suite d’autres causes. Le tableau I résume la démarche.

Tableau I. Attribution d’effets de santé observés à l’exposition aux rayonnements ionisants

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Du bon usage des résultats scientifiques et de leur bonne présentation

Dans une logique voisine, utile à la décision publique, le rapport discute les conditions qui permettent de manière sûre, ou plausible, ou pas, d’effectuer des projections de risque pour une population exposée, illustrée notamment par les exemples de la perte de points de QI après irradiation à faible dose de populations enfantines, de l’exposition au radon domestique ou encore du cancer de la thyroïde chez l’enfant.

Par ailleurs, le rapport plaide pour que soient distinguées incertitude et variabilité, et de faire la part de leur influence respective, dans la discussion des résultats des études épidémiologiques et en évaluation des risques. Une annexe de près de 200 pages est consacrée à ces approches. Les notions de base sont expliquées, y compris la comparaison des approches « fréquentistes » et Bayésiennes dans l’interprétation des incertitudes.

 

Conclusion

À l’inverse des autres chapitres de ce Yearbook, il ne s’agit pas ici de présenter les connaissances récemment acquises dans le champ santé-environnement. Cependant, le rapport UNSCEAR 2012 mérite largement cet article, il constitue à nos yeux un gold standard en matière d’évaluation du risque sanitaire en général, rendu possible par l’extrême richesse de la litté­rature en radioépidémiologie, en radiobiologie et sur l’évaluation du risque des rayonnements ionisants. Cette richesse est notamment le produit de la relative facilité à mesurer ou estimer les expositions et doses dans ce champ.

 

Liens d’intérêt en rapport avec le texte publié : aucun

 

Références
  1. United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation (UNSCEAR). Sources, effects and risks of ioni­zing radiation. UNSCEAR 2012 Report to the General Assembly with Scientific Annexes. New York: 2015 Contract No.: ISBN 978-92-1-142307-5.
  2. Leuraud K, Richardson DB, Cardis E, Daniels RD, Gillies M, O’Hagan JA, et al. Ionising radiation and risk of death from leukaemia and lymphoma in radiation-monitored workers (INWORKS): an international cohort study. Lancet Haematol 2015 ; 2 : e276-81.