Milieu de vie

Habitat

YearBook 2024

Claude Beaubestre

Ingénieur hygiéniste de la ville de Paris, retraité ; membre de la Commission spécialisée « Risques liés à l’environnement » du Haut Conseil de la santé publique, Paris

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Synthèse publiée le : 01/11/2024

SYNTHÈSE :
Nuisibles de l’habitat

Certaines espèces partagent leur biotope avec celui de l’espèce humaine, entrent ainsi en concurrence avec elle et peuvent avoir un impact négatif sur les activités ou la santé humaines. Cette notion d’animaux « nuisibles » remonte à la nuit des temps, et l’être humain s’est arrogé le droit de détruire ces animaux qui, par exemple, ravageaient ses cultures ou ses réserves alimentaires. Problématique primitivement agricole, les nuisibles sont devenus un fléau urbain quand les populations ont commencé à quitter les campagnes pour les villes. Les nuisibles de l’habitat urbain (puces, mouches, cafards, moustiques, souris, pigeons, punaises de lit) sont plus ou moins d’actualité selon les époques et les progrès dans les moyens de contrôle.

Dès que l’Homme s’est sédentarisé et a maîtrisé les techniques agricoles lui permettant de constituer des réserves alimentaires, il a dû composer avec des animaux qui vivaient dans son biotope et voulaient profiter de ces ressources (criquets, pucerons, rongeurs, etc.) ou qui cohabitaient avec lui (puces, cafards, punaises, etc.). Ces « nuisibles », ces « malfaisants » furent depuis l’objet d’une lutte incessante afin de les contrôler, voire de les exterminer.

Dans l’antiquité et au Moyen-Âge, des techniques variées, mêlant superstition, intuition, ingéniosité et progrès technique, étaient utilisées. Les développements de la science du 16e au 19e siècle permirent d’organiser de façon de plus en plus rationnelle la lutte contre les nuisibles, avec l’utilisation de produits chimiques et de pièges mécaniques [1].

Ces progrès constants dans la lutte contre les nuisibles culminent avec le concept de lutte intégrée mis en œuvre ces dernières décennies dans le cadre des infestations de punaises de lit.

 

Nuisibles de l’habitat

Dans l’habitat, puces, mouches, cafards, moustiques, souris, etc. cohabitent avec l’être humain, responsables de désagréments divers, voire de risques pour la santé. La plupart du temps, la lutte contre ces indésirables ressortit à la logique et au bon sens [1]. Il s’agit d’abord de comprendre les éléments architecturaux et comportementaux qui les attirent, puis de prendre des mesures préventives ou correctives pour les éloigner : supprimer la nourriture accessible (mites, rongeurs, etc.), contrarier les voies de circulation (rongeurs), rompre l’accès à l’eau (moustiques), etc.

Diverses réglementations sont à prendre en compte, selon les espèces considérées, pour la maîtrise des nuisibles. La principale réglementation européenne est le « paquet hygiène » [2] qui fixe des exigences relatives à l’hygiène des denrées alimentaires et des denrées animales, « de la fourche à la fourchette ». Il s’agit, dans tous les États membres, d’assurer la protection de la santé des consommateurs, de garantir la sécurité sanitaire des aliments tout en permettant la libre circulation des produits. Les professionnels concernés doivent établir un plan de maîtrise sanitaire et suivre les guides des bonnes pratiques HACCP [3], il en existe pour les restaurateurs, les pâtissiers, etc.

En France, le règlement sanitaire départemental organise, dans sa section 4, la lutte contre les rongeurs, les pigeons sauvages, les animaux errants, les insectes, etc. De même, il interdit le nourrissage des animaux sauvages ou errants.

 

Nuisibles ou pas ?

Dénuée de sens scientifique (les animaux ne sont ni « utiles » ni « nuisibles »), cette notion d’espèce nuisible est remise en cause depuis près d’un siècle, ce d’autant plus avec la prise de conscience écologique de la deuxième moitié du 20siècle. Ainsi, depuis la loi biodiversité du 8 août 2016, cette notion d’animaux dits « malfaisants ou nuisibles » n’existe plus dans le code de l’environnement, remplacée par un classement en « espèces susceptibles d’occasionner des dégâts ». L’OMS semble ne plus utiliser ce vocable, hormis dans ses publications portant sur les pesticides. L’Union européenne ne l’utilise que dans sa directive 2000/29/CE du Conseil du 8 mai 2000 concernant les mesures de protection contre l’introduction dans la Communauté d’organismes nuisibles aux végétaux ou aux produits végétaux et contre leur propagation à l’intérieur de la Communauté.

Cependant, notre façon de les considérer n’a malheureusement pas encore suffisamment évolué. On trouve encore l’expression au titre III du livre III de la première partie du code de la santé publique en son chapitre VIII « Lutte contre les espèces végétales et animales nuisibles à la santé humaine », ainsi que dans la loi ELAN de 2018 (article 142). On trouve aussi le mot dans l’action 11 de l’axe 2 du 4Plan national santé environnement : « prévenir les impacts sanitaires des espèces nuisibles par des méthodes compatibles avec la préservation de l’environnement », qui concerne les moustiques, les espèces exotiques envahissantes, les nuisibles de l’habitat (rongeurs, cafards, etc.) dont les punaises de lit.

 

Punaises de lit

Depuis la période préhistorique, Cimex lectularius cohabite avec l’Homme. Insectes hétéroptères exclusivement hématophages, ils parasitaient probablement les chauves-souris à l’origine, passant des chiroptères à l’humain lors de périodes de cohabitation dans les grottes. Tout au long de l’histoire, les punaises de lit ont tourmenté les humains, dans toutes les régions du monde, provoquant nuits blanches (ce sont des insectes essentiellement nocturnes) et inconfort.

Le philosophe grec Démocrite [4] est le premier auteur connu à prodiguer (vers - 400) des conseils pour lutter contre les punaises de lit. Il affirmait ainsi que des pattes de lièvre ou de cerf, accrochées aux pieds du lit, empêchaient leur reproduction. Dans les siècles qui suivirent, les recettes pour lutter contre les infestations comprenaient fumigations diverses, utilisation d’épingles à chapeau pour déloger les punaises de leurs nids, badigeon de colle sur les pieds de lit, utilisation du froid l’hiver, utilisation de poivre en poudre, nettoyage à l’eau bouillante, etc., sans grand résultat. Aux 18e et 19siècles, grâce à la chimie, produits chimiques et insecticides s’ajouteront à cet arsenal ; mais la généralisation du chauffage central au début du 20siècle ne fit qu’aggraver l’infestation. Jusqu’alors saisonnière, l’activité des punaises tend à prospérer en toute saison. Au cours des deux guerres mondiales, les punaises infestent les équipements des soldats dans les tranchées, les baraques, aussi bien que le couchage des civils dans les abris anti-aériens.

Les propriétés insecticides du DDT (dichlorodiphényltrichloroéthane) sont découvertes en 1939, et l’armée américaine évalue son efficacité contre les punaises de lit, avant de l’utiliser avec succès. Le DDT est alors proclamé « solution parfaite au problème des punaises », et les cas d’infestations décroissent alors jusque dans les années 1950, où elles disparaissent de notre quotidien. Cependant, les punaises de lit ont fait leur réapparition dans les années 1990, notamment dans les environnements urbains, en raison de l’apparition de populations résistantes aux insecticides, de l’évolution de nos modes de vie nomades, de l’évolution de notre consommation prisant la brocante et les achats de seconde main.

Même si l’incidence du recours aux soins en médecine générale en raison de l’infestation par des punaises est faible, au regard de l’ensemble des consultations effectuées, elle suggère néanmoins un impact non négligeable sur les personnes dont le domicile est infesté. Sur un plan économique, le secteur du tourisme est impacté par la résurgence des punaises de lit et des « psychoses » que celle-ci peut provoquer. Ce fut le cas lors de la Fashion Week de Paris, fin septembre 2023. L’intérêt du public et des médias s’étendit même hors de France. Il semblerait que des lacunes et un manque de normalisation dans la collecte de données sur les punaises de lit par les agences gouvernementales, aient pu provoquer une exagération dans le traitement journalistique [5], sans parler de manipulation de l’opinion par la Russie, comme certains l’ont affirmé.

Le gouvernement français a lancé en 2020 une campagne d’information pour lutter contre ce fléau, constatant le développement continu des populations de punaises, le potentiel risque sanitaire et que la population et les représentants des collectivités locales restaient désarmés face aux infestations par ces insectes. En 2018, la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (loi ELAN) n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, stipule dans son article 142 un nouveau critère quant à la définition du logement décent, axé sur les nuisibles1 : « Le logement doit être exempt de toute infestation d’espèces nuisibles et parasites ».

Effets sur la santé

Pour prendre son repas de sang, la punaise de lit injecte sous la peau de son hôte de la salive aux propriétés antihémostatiques, ce qui facilite l’ingestion du sang. Dans le même temps se produit une réaction inflammatoire, voire d’hypersensibilité (piqûres répétées). Bien qu’elles introduisent leur stylet à l’intérieur des vaisseaux sanguins et qu’elles soient naturellement infectées par un large éventail d’agents pathogènes, en l’état actuel des connaissances, elles ne sont pas considérées comme vecteurs de ces agents pathogènes.

Les principaux effets de leurs piqûres sur la santé, physique mais aussi mentale, sont :

  • des lésions dermatologiques irritantes non spécifiques ;
  • des effets émotionnels et psychologiques, voire psychiatriques (troubles du sommeil, changement d’humeur, nervosité, sentiments de panique) ;
  • une stigmatisation sociale ;
  • un isolement par crainte de réinfestation et de graves conséquences économiques. Ces dernières concernent les ménages (environ 230 millions d’euros par an en moyenne sur la période 2017-2022), les bailleurs sociaux (5,7 millions d’euros en 2021) et les logements étudiants (700 000 euros pour 2021) [6].

Il n’existe pas de traitement spécifique contre les impacts sur la santé humaine des punaises : les atteintes cutanées ont tendance à disparaître spontanément en 1 à 2 semaines si l’infestation de punaises de lit est éradiquée. Dans le cadre d’une prise en charge globale, il est également possible de mettre en place un suivi psychologique.

Quelques données sociologiques et économiques

D’après l’enquête menée par l’Anses [6], 11 % des ménages français auraient été infestés par les punaises de lit entre 2017 et 2022. L’étude de l’association entre les caractéristiques des ménages et des logements, et l’émergence d’infestations par les punaises de lit, a fait ressortir un consensus sur les facteurs de risque d’être victimes d’une infestation : le jeune âge et l’âge actif, le nombre de mineurs au sein du foyer, l’incapacité de travail, vivre dans un appartement ou un logement partagé, être locataire. En revanche, les résultats ne montrent pas de lien entre infestation et pauvreté (revenu du ménage).

C’est le coût du traitement des locaux infestés qui fait la différence, ce que montre le fait que seulement 48 % des ménages touchés engagent des dépenses. La situation est différente pour les logements sociaux pour lesquels ce sont les organismes bailleurs qui supportent les dépenses (soit environ 2 % de leurs dépenses de fonctionnement).

Détection des punaises de lit [6]

Dans les logements infestés, il est important d’identifier avec certitude l’espèce punaise de lit ainsi que sa répartition dans le logement ou dans le bâtiment afin d’adapter le traitement à effectuer. Cette étape doit être réalisée par un spécialiste expérimenté : désinsectiseur, entomologiste, détecteur canin, etc. Différents outils permettent cette identification :

  • questionnement des occupants victimes de piqûres ;
  • inspection visuelle des locaux dédiés au sommeil et leur mobilier ;
  • pièges passifs (avec ou sans glue), pièges actifs (simulent des cachettes pour les punaises et dégagent un ou plusieurs attractants : CO2 et/ou chaleur) ;
  • détection canine.

En fonction des observations, le niveau d’infestation [7] est précisé à l’aide d’une échelle objective créée par l’Institut national d’étude et de lutte contre les punaises de lit (tableau 1).

 

Tableau 1. Description des niveaux d’infestation par les punaises de lit (d’après l’INLEP [7]).

 

Traitement des infestations et lutte intégrée

Une fois le diagnostic posé, de nombreux procédés de lutte contre les punaises de lit peuvent être mobilisés :

  • physiques : chaleur sèche, vapeur, congélation, lavage du linge, traitement par le vide ;
  • biologiques2 : bactéries ou champignons entomopathogènes) ;
  • chimiques : silice, terre de diatomée, insecticides seuls ou en combinaison, ozone gazeux.

L’Anses [6] a évalué ces divers procédés de lutte et il ressort de cette analyse qu’aucune méthode ne peut être efficace à elle seule pour éliminer les punaises de lit d’un habitat infesté. Il faut considérer toutes ces méthodes comme constituant un panel d’outils à utiliser d’une manière adaptée selon le niveau d’infestation de l’habitat et les objets infestés. Par ailleurs, la toxicité des insecticides présente des risques avérés pour la santé humaine [8].

Dans le cas des faibles infestations, les méthodes de lutte non chimiques doivent donc être favorisées. Elles peuvent être complétées par une méthode chimique, réalisée par un professionnel qualifié et accompagnée des précautions nécessaires, en cas de persistance de l’infestation. Pour les infestations plus importantes, en particulier dans le cas de l’habitat collectif, le recours à une stratégie de lutte intégrée est indispensable. La gestion intégrée des infestations (figure 1) repose sur une combinaison de procédés mécaniques, thermiques et/ou chimiques, associée à une évaluation des résultats et à la mise en place de mesures préventives. Ce mode de gestion est très dépendant de l’adhésion et de la coopération active des acteurs impliqués (bailleurs, collectivités, propriétaires, désinsectiseurs, particuliers, etc.). Elle doit donc inclure une sensibilisation des victimes d’infestation (mais aussi des professionnels) à la thématique des traitements curatifs et des mesures préventives à mettre en œuvre pour éviter les réinfestations.

 

Figure 1. Les six étapes de la gestion intégrée des infestations par les punaises de lit (d’après l’avis Anses [6]).

 

 

Conclusion

Depuis la réapparition des punaises de lit à la fin du 20siècle, les infestations se multiplient avec un impact sur la santé humaine, physique et mentale, et avec des conséquences économiques non négligeables. Les punaises de lit sont donc un véritable problème de santé publique, et pas uniquement sur le plan de la salubrité.

Si la lutte contre ces insectes fait constamment de nouveaux progrès, il n’en demeure pas moins qu’un suivi des infestations assorti d’une déclaration obligatoire est nécessaire (ce qui n’est pas le cas actuellement dans le cadre de la Loi ELAN), permettant de mieux répondre aux inquiétudes lors de crises comme celle de l’automne 2023.

 

Références

[1] Elissa N. Voyage à travers le temps et chroniques de la lutte contre les « nuisibles ». ERS 2024 ; 23 : 141-8.

[2] Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. La réglementation sur l’hygiène des aliments, 2024 : https://agriculture.gouv.fr/la-reglementation-sur-lhygiene-des-aliments

[3] Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Guides de Bonnes Pratiques d’Hygiène (GBPH), 2024 : https://agriculture.gouv.fr/guides-de-bonnes-pratiques-dhygiene-gbph

[4] Doggett SL, Lee CY. Battling Bed Bugs Through the Ages: A Historical Journey of Control Strategies. FAOPMA Magazine‎ 2023 : 58-79.

[5] Brimblecombe P, Mueller G, Querner P. Public and media interest in bed bugs-Europe 2023. Curr Res Insect Sci2024 ; 5 : 100079.

[6] Anses. Avis relatif aux punaises de lit : impacts, prévention et lutte (saisine n° 2021-SA-0147). Maisons-Alfort : Anses, 2023 : 26 p. Cet avis est associé à un rapport d’expertise collective, disponible en ligne : https://www.anses.fr/en/system/files/BIOCIDES2021SA0147Ra.pdf

[7] INLEP. Échelle des niveaux d’infestation, 2022 : https ://www.inelp.fr/echelle-des-infestations/

[8] Vigil’Anses n° 18, 2022 : https://vigilanses.anses.fr/sites/default/files/VigilAnsesN18_Novembre2022.pdf

 

1 Ces derniers étant encore au stade expérimental.

2 Modifiant l’article 6 de la loi n °89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs.