Synthèse publiée le : 28/05/2018

SYNTHESE : Pollution de l'air, niveau socioéconomique et sclérose en plaques

Le déclenchement des poussées de sclérose en plaques est associé à l’exposition aux particules fines et la susceptibilité varie selon la catégorie socioéconomique

 

De nombreux travaux en cours s’intéressent à la pollution de l’air comme facteur de risque de maladies neurodégénératives, en particulier la maladie de Parkinson, la maladie d’Alzheimer (Yearbook 2017) et la sclérose en plaques.

Les mécanismes invoqués sont largement partagés pour toutes ces affections, les polluants en cause sont, non seulement les particules PM10 et fines PM2.5, mais aussi les oxydes d’azote ou l’ozone. Dans le cas des particules, si l’internalisation de celles-ci semble capable d’entraîner des réactions inflammatoires non spécifiques, de plus en plus de travaux s’intéressent à l’effet propre des métaux lourds et hydrocarbures aromatiques polycycliques qu’elles peuvent porter. Dans l’ensemble, l’effet produit est la génération d’espèces réactives de l’oxygène, puissants oxydants qui peuvent altérer l’ADN, les protéines et les lipides des membranes cellulaires. Les polluants portés par les particules peuvent aussi être perturbateurs endocriniens (métaux lourds), former des adduits à l’ADN, modifiant ainsi l’expression des gènes ou générant des modifications épigénétiques.

 

Sclérose en plaques

La sclérose en plaques (SEP) se manifeste par des lésions démyélinisantes et axonales dans le système nerveux central, responsables d’un handicap neurologique à plus ou moins long terme. C’est l’affection neurologique la plus fréquente de l’adulte jeune, la plupart des cas débutant entre l’âge de 20 et 40 ans. La prévalence de la sclérose en plaques est en France de 1 à 1,5 pour 1 000 et les femmes sont deux fois plus touchées que les hommes.

La maladie repose notamment sur la notion de poussée (forme rémittente) : une poussée se définit comme la survenue de nouveaux symptômes, ou la résurgence d’anciens symptômes ou encore l’aggravation de symptômes déjà présents ; elle dure au minimum 24 heures. Un délai d’un mois est le minimum entre deux poussées ; si des symptômes surviennent moins d’un mois après le début de la poussée, on considère qu’ils font partie de la même poussée.

La fréquence des poussées, d’environ une par an les premières années, diminue avec le temps. Les traitements peuvent jouer un rôle, mais cette diminution est aussi séculaire, comme démontré dans une méta-analyse récente portant sur des groupes placebo d’essais thérapeutiques conduits entre 1990 et 2012. À ce jour, il n’y a pas d’explication à cette diminution de la fréquence des poussées sur les dernières décennies.

Les causes de cette maladie neurologique invalidante sont génétiques (les porteurs de l’allèle HLA-DRB1*1501 sont particulièrement à risque), et environnementales. Les facteurs de risque les mieux établis sont l’infection par le virus Epstein-Barr, le statut en vitamine D et le tabagisme, mais l’épidémiologie de la SEP reste largement inexpliquée. La contribution de nombreux facteurs susceptibles d’entraîner des réactions immunoallergiques, dont les pollens, reste discutée. En revanche, une méta-analyse [1] a confirmé la variation saisonnière dans la survenue de poussées, ce qui soutient l’hypothèse du rôle de facteurs eux-mêmes saisonniers.

Deux publications relativement anciennes ont fait état d’un lien entre pollution de l’air et prévalence [2] ou poussées de SEP [3]. Elles sont toutes deux méthodologiquement faibles, ou bien en raison d’un protocole inadéquat, ou bien par manque de robustesse de l’estimation des expositions et dans les deux cas, par l’absence de prise en compte des facteurs de confusion possibles ou vraisemblables. Une étude plus récente et de qualité [4] a montré une association (RR = 1,42 [intervalle de confiance à 95 % -IC95 %- 1,39-1,45] entre l’exposition quotidienne aux PM10 à domicile et le risque d’hospitalisation en lien avec la maladie dans la région italienne de Lombardie entre 2001 et 2009 avec un délai de 0 à 7 jours. Une autre étude italienne [5] a montré que les images IRM d’inflammation de la sclérose en plaques étaient associées aux concentrations de PM10 des 30 jours précédant l’examen. D'autres publications apparues récemment souffrent de limites méthodologiques et il est difficile d’en retenir les conclusions.

 

Une étude cas-croisés à Strasbourg

Nous avons récemment conduit une étude de type cas-croisés [6], approche dans laquelle chaque individu est son propre témoin, et l’exposition d’un sujet dans un délai proche de l’événement, ici la survenue d’une poussée (période cas), est comparée avec l’exposition d’une période durant laquelle ce même sujet ne présentait pas l’événement (période témoin). Cette méthode permet de contrôler les possibles variables de confusion qui ne dépendent pas du temps (par exemple celles qui caractérisent l’individu), car chaque individu est comparé à lui-même. Cette approche permet de maîtriser au mieux les facteurs de confusion associés aux variations saisonnières et aux tendances à long terme, qui caractérisent souvent les données de pollution. Elle est semi-écologique, dans la mesure où les données de santé (la survenue des poussées) sont recueillies au niveau individuel tandis que l’exposition aux polluants est recueillie de manière agrégée à une échelle géographique fine.

 

Méthodes

La zone d’étude était la Communauté urbaine de Strasbourg (CUS), constituée de 186 îlots regroupés pour l'information statistique (IRIS) (la plus petite zone géographique pour laquelle les données de recensement sont accessibles). Les cas de SEP rémittente provenaient d’un registre standardisé, les patients retenus habitaient la CUS durant la période d’étude (2000-2009).

Les PM10 ont été modélisées sur une base horaire pour chaque IRIS. Ces estimations sont validées par des mesures de terrain : la corrélation entre la valeur modélisée et la valeur mesurée de ces polluants en valeur horaire est supérieure à 0,7 pour chacun des points.

La finesse de cette spatialisation, rarement atteinte dans la littérature internationale, permet de limiter au minimum les erreurs de classification de l’exposition dans une approche nécessairement écologique.

Les concentrations hebdomadaires de pollens (Réseau national de surveillance aérobiologique) et les données du réseau Sentinelles de l’INSERM sur les syndromes grippaux (divers virus sont des facteurs de risque suspectés) ont été prises en compte.

Notre groupe a élaboré par ailleurs un indice de niveau socioéconomique (NSE) à partir des données du Recensement général de la population par l’INSEE en 2009. Chacun des IRIS de la CUS s’est ainsi vu attribuer une valeur de NSE.

 

Résultats

Effet des PM10

En bref, nous montrons que les particules fines présentes dans l’air ambiant sont bien associées au déclenchement des poussées de SEP (OR = 1,40 [1,08-1,81]), avec un délai entre exposition et poussée entre 1 et 3 jours, pendant la période « froide », de d’octobre à mars (figure 1).

 

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Figure 1. Odds ratio de l’exposition aux Ln PM10 et poussées de sclérose en plaques, du jour de la poussée au 30e jour avant celle-ci. Communauté urbaine de Strasbourg, 2000-2009 [6]
Influence du niveau socioéconomique

Sur les cinq catégories utilisées pour définir le niveau socioéconomique du lieu de résidence, les patients vivant dans les IRIS à la fois les plus favorisés et les plus défavorisés présentent une sensibilité accrue à l’exposition aux PM10. Cette observation, qui peut avoir des explications très variées, en particulier des expositions différentielles à de nombreux facteurs de risque liés selon les catégories socioéconomiques, doit être confirmée par d’autres travaux. Elle peut être aussi propre au terrain d’étude.

 

Conclusion

L’association entre exposition aux particules fines et déclenchement de poussées de SEP est de mieux en mieux documentée. Les estimateurs de risque (OR ou RR) sont, cependant, d’ampleur limitée. Le caractère manifestement plurifactoriel de la survenue de la maladie et du déclenchement des poussées reste encore largement inexpliqué. L’allure sinusoïde de l’association entre exposition aux PM10 et déclenchement de poussées (figure 1) pose question sur les mécanismes immuno-inflammatoires à l’œuvre et leur cours temporel. Les résultats de l’analyse conduite sur le niveau socioéconomique sont vraisemblablement le reflet de styles de vie différents selon les catégories sociales, produisant un schéma complexe et varié d’interactions de facteurs de risque. Les analyses en cours porteront sur les effets possibles des autres pollluants atmosphériques (NO2, ozone, monoxyde de carbone, benzène).

Liens d’intérêts : aucune

 

Références

  1. Jin Y, de Pedro-Cuesta J, Soderstrom M, Stawiarz L, Link H. Seasonal patterns in optic neuritis and multiple sclerosis : a meta-analysis. J Neurol Sci 2000 ; 181 : 56-64.
  2. Gregory AC, 2nd, Shendell DG, Okosun IS, Gieseker KE. Multiple Sclerosis disease distribution and potential impact of environmental air pollutants in Georgia. Sci Total Environ 2008 ; 396(1) : 42-51.
  3. Oikonen M, Laaksonen M, Laippala P, Oksaranta O, Lilius EM, Lindgren S, et al. Ambient air quality and occurrence of multiple sclerosis relapse. Neuroepidemiology 2003 ; 22 : 95-9.
  4. Angelici L, Piola M, Cavalleri T, Randi G, Cortini F, Bergamaschi R, et al. Effects of particulate matter exposure on multiple sclerosis hospital admission in Lombardy region, Italy. Environ Res 2016 ; 145 : 68-73.
  5. Bergamaschi R, Cortese A, Pichiecchio A, Berzolari FG, Borrelli P, Mallucci G, et al. Air pollution is associated to the multiple sclerosis inflammatory activity as measured by brain MRI. Mult Scler 2017 : 1352458517726866.
  6. Roux J, Bard D, Le Pabic E, Segala C, Reis J, Ongagna JC, et al. Air pollution by particulate matter PM10 may trigger multiple sclerosis relapses. Environ Res 2017 ; 156 : 404-10.